L’enfant n’ose pas sortir de la forêt. Il a peur des policiers et des gardes-frontière, parce qu’il sait que c’est tout près, la France, peut-être même que c’est déjà là. Il n’a jamais franchi de frontière, l’enfant, alors il ne sait pas si ça se voit, une frontière, dans une forêt, il ne sait pas s’il y a des gens qui tracent un trait dans la forêt, un trait comme sur les cartes, mais c’est l’automne et il y a des feuilles mortes partout et s’il y a un trait, il est dessous, alors il ne sait pas, l’enfant, s’il est déjà en France. Il a vu un panneau à la sortie de la forêt, mais il n’ose pas aller voir, parce qu’il y a aussi une route et que sur la route il y a des policiers et des gardes-frontière et qu’il aimerait bien ne pas être venu jusque-là pour rien, l’enfant, il aimerait bien continuer à marcher encore un bout, jusqu’à la mer il voudrait aller, l’enfant, jusqu’à l’océan, mais pour l’instant c’est une forêt et une route et un panneau et il n’y a pas de voitures sur la route, alors il sort de la forêt et il lit le mot sur le panneau, l’enfant, et c’est le mot FRANCE avec des chiffres, et aussi un dessin d’autoroute et il sait qu’il est en France, l’enfant, parce que l’autoroute sur le panneau est dessinée en bleu alors qu’en Suisse c’est en vert, et il y a deux autres panneaux avec des noms écrits dessus, des noms de villages, Croix et Villars-le-Sec, et ça le fait rire, ce nom de village, l’enfant, Villars-le-Sec, parce que la route est mouillée et qu’il se demande si des fois il pleut, à Villars-le-Sec, mais s’il veut aller jusqu’à l’océan il doit passer par Croix, peut-être, parce qu’il ne sait pas trop, l’enfant, dans quelle direction c’est l’océan, alors il retourne dans la forêt et il verra bien où il sort, en espérant que ce ne soit pas de nouveau en Suisse, parce que ce serait bête de passer la frontière dans le bon sens et de la repasser dans le mauvais sens et de se faire arrêter par des gardes-frontière suisses et pas français, mais il a vu une croix, l’enfant, et il croit qu’il arrive à Croix, et ça le fait rire de penser ça : « Je crois que j’arrive à Croix. »
Mots-clés: 2018 automne France Pays de Montbéliard
Charmant, touchant, cette voix enfantine.
Un petit bout de son périple, Vincent. C’est très beau.
C’est très beau, comme toujours, cette attention que tu portes au proche fantastique et cette inquiétude, cette menace, que tu extrais des détails, du familier.
J’aime le ton et aussi le parti pris que tu as d’appeler l’enfant ”l’enfant”.
On peut ainsi imaginer ce que l’on veut, on se sait rien de lui, ni d’où il vient, ni où ili va, et pourtant…
L’enfant de tous les contes! avec ses peurs et son rire. Merci
Des pensées écrites à hauteur d’enfant. Émouvant. Merci pour ce saut dans le temps et ce goût dans la bouche retrouvé.
Un texte magique
et je l’embrasse l’enfant qui a encre la force d’avoir idées d’enfant (je souhaite très fort qu’i trouve vite un abri où redevenir un enfant complètement, ou presque, avec juste la marque presque endormie de ce qu’il a vécu)