On ne partira pas, on ne part pas, je ne sais plus exactement ce qu’elle a dit. On ne partira pas, on ne part pas , elle a rajouté pour Pâques. Elle l’a dit sur le ton de l’excuse, presque de la gêne, le « pour Pâques » sonnait comme l’annonce d’un futur voyage. Greg change de boulot, c’est toute une histoire. On reste là avec les enfants. Il y avait aussi du regret, une déception, presqu’une envie de se disculper, de se justifier au moins. Ne pas partir quand tout le monde part. Laisser entendre qu’on partira plus tard (quand Greg aura changé de boulot) parce qu’on fait partie des gens qui partent; on n’est pas immobile, casanier; on bouge, on part, on voyage. Ne pas partir, c’est grave, le signe d’un manque, d’une incapacité, d’une invalidité, de quelque chose qui ne va pas. Aujourd’hui, la normalité c’est d’aller loin, de voyager, de changer d’air, de voir et de faire autre chose. Rester chez soi, aller tout près, c’est le début de l’infirmité. Le signe de distinction, c’est le déplacement lointain qui fait de vous un être complet, aventurier, débrouillard, hardi, plein, à la différence de cet être vide qui est sans doute resté à regarder fleurir ses tulipes, à lire ou à écrire dans la douceur d’un premier jour de printemps. Il n’aura rien à raconter, il n’a pas vu le monde. Il est resté chez lui, tout juste s’il est allé tout près faire quelque promenade. Il n’a rien à dire, juste que pour la première fois le chien a accepté de grimper dans le coffre de la voiture et que c’est la grande nouvelle de ce jour de Pâques.