Elle est souvent venue à B. ; enfin souvent, pas tant que ça, mais avant et après la guerre. Elle y revient. À l’aéroport, rien n’a changé, plus de police, de militaires peut-être, la même insouciance des retrouvailles, le même désordre des taxis, la même odeur de la mer et cet on ne sait quoi de doux dans l’air, de luxueux aussi dans les bagages, les prévenances et l’empressement des chauffeurs.
Il y a des destinations qu’ils refusent, sans qu’elle comprenne, elle ne parle pas la langue. Où est passée la gaieté des habitants et pourquoi roule-t-on désormais si lentement vitres fermées. Les embouteillages toujours, les portraits affichés comme avant. Elle ne sent plus la mer, la lumière, c’est ça il n’y a pas de lumière, juste la nuit et les étoiles.
Face à la crise, le spectre du repli identitaire, c’est en gros titre dans le journal du jour. Comme une tristesse qui rôde. 4 août 2020. Vous voulez voir demande le chauffeur comme s’il était dans sa tête. Elle voit, comme une gedächtniskirche gigantesque face à la mer.
Son quartier, ses rues vides, l’ascenseur qui ne marche pas, l’eau, le wifi, pas plus. Les ordures, la tristesse. Les gens qui racontent une vie passée, mangée à régler les besoins quotidiens. L’épuisement. La nourriture toujours délicieuse réconfortante.
Maintenant elle a peur de tous ceux qu’elle croise, des mendiants, des enfants, des chiens des chats. Elle les imagine affamés, prêts à tout et n’ayant rien à perdre tout à gagner. On roule vitres fermées dans sa ville dans l’indifférence du monde entier. Tout est si calme pourtant, pas de colère. On se rassemble à Paris pour que justice soit faite.
Elle pense à ceux qui ne veulent plus revenir, plus jamais maintenant que les parents sont morts. Elle imagine ceux qui sont partis vers Istanbul, Dubaï ou Tbilissi (c’est le journal qui le dit) des pays où l’on n’a pas à se préoccuper du courant, de l’eau, du wifi, où l’on ne vit pas au rythme des fournitures de l’essentiel. Où l’on peut vivre, faire des projets et des rencontres. Avoir du temps qui ne soit pas mangé par ce rien qui occupe tout l’espace.
Un cauchemar, plus fort que la fiction, c’est à ça qu’elle pense. Ce poéme de Michaux qui lui a toujours fait irrésistiblement penser à B.
Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois, et pour peu de temps.
On se frotte les yeux des jours en avance.
Mais en vain.
Temps inexorable.
Soleil n’arrive qu’en son heure.
Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu’il y a de la clarté, si bien qu’on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.
Elle veut partir et ne plus revenir. Jamais.
Juste pour dire comme j’ai aimé votre texte, merci.
merci
fait drôlement froid…
heureusement moins qu’à Montréal …
oui la désolation qui ronge tout
partir et risquer un espoir
merci d’être passée
Danièle je suis très émue par toutes ces introspections centrées sur le dehors
et ceci qui me presse, me saisit :
« Son quartier, ses rues vides, l’ascenseur qui ne marche pas, l’eau, le wifi, pas plus. Les ordures, la tristesse. Les gens qui racontent une vie passée, mangée à régler les besoins quotidiens. L’épuisement. La nourriture toujours délicieuse réconfortante. »
Bravo Danièle… cette acuité incroyable
Merci
C’est très beau. Merci
Infiniment triste et comme résignée.
Tout à fait. Les titres mentionnés sont ceux de l’Orient Le Jour, tout le reste est fiction.