##Le_double_voyage #09 | Wittig

Avec  cet exercice on peut considérer qu'une tangente est prise, que l'égarement est atteint. Un voyage sans s'égarer serait-il digne de ce nom ? Suivre son petit bonhomme de chemin, ou encore faire l'école buissonnière  , et puis en tant que peintre aller au hasard est toujours ce que je trouve  le plus passionnant;  de "n'importe quoi" faire "quelque chose". Ce texte est dans la foulée des autres que je publie sur mon blog et ici ( la confusion des lieux de publication sera certainement un jour  aussi un sujet de réflexion ) Donc des références échapperont au lecteur qui a besoin de références, forcément mais ce n'est pas bien grave, le sujet n'est pas la référence.

Il faudrait remonter assez loin dans ce blog pour retrouver la trace de l’inspecteur Blanchard. Celle de Dali embarqué dans un vaisseau de l’Alliance Galactique en guerre contre les reptiliens. De même qu’  Alonso Quichano disparait lui-aussi.  Tous les moulins à vent se seront effondrés avec le temps.

De nombreux personnages semblent ainsi s’enfoncer dans l’oubli. Ce blog n’est-il pas un voyage ? On y rencontre des pays, des personnages, des objets, on saute du coq à l’âne. Les frontières ne paraissent exister ici qu’à la façon de jours qui succèdent à la nuit ou encore la nuit qui succède aux jours.

Sur un fichier pdf reçu ce jour on peut admirer la découpe des blocs noir sur blanc sans même lire le texte. Ils sont d’une taille similaire et l’on pourrait même imaginer que si l’on prend  le premier au hasard il parlera exactement de la même chose que tous les autres. D’une résistance probablement vaine à cet oubli. Des femmes racontent des histoires. Elles portent des noms stupéfiants de familiarité, mais d’une familiarité si lointaine que tout à coup on découvre un autre type d’oubli qui provient d’un amont alors qu’on imaginait- évidemment à tort – que celui-là se tenait depuis toujours dans l’aval. L’oubli des récits d’avant, des personnages d’avant, des objets d’avant, voilà une chose qui nous en bouche un sacré coin.

Homère raconte une guerre qui n’en finit pas. Elle semble s’achever parce que le livre s’achève lorsqu’on a tourné la dernière page. Mais cette guerre ne s’achève pas. Et l’on comprend aussi qu’on serait bien en peine de savoir le moment exact où elle a commencé. Si on ne tient pas compte des prétextes, des raisons, des explications, des justifications en tous genres, des caractéristiques si lamentables de tous temps de la nature humaine et qui depuis son origine  explique déjà sa fin. On tente de ne pas voir cette fin. On essaie d’en imaginer une autre. On est souvent déçu par tous les micro récits qui ne sont que les reflets d’une histoire plus vaste décevante elle aussi.

Il ne se souvient même plus de ce texte, de ce récit de voyage commencé il y a des semaines, des mois des années, ? Un récit pour s’entrainer à l’art du récit mais qui tourne en cercles concentriques comme les corbeaux autour d’un animal mort. Il y a une ressemblance avec une image classique de sacrifice à effectuer : un escalier qui n’en finit pas de renvoyer l’idée d’une pyramide à  gravir pour parvenir à l’autel, au lieu du meurtre ; peut-être pourrait-on aussi imaginer une éclipse, des nuages qui courent dans un ciel nocturne, une musique lancinante qui soudain s’achève sur un  silence absolu.

Vendredi est le compagnon de Robinson, mais c’est aussi le jour des stages de peinture. Ce dernier vendredi fut le lieu et le temps d’un mythe. Le peintre avait trouvé l’idée dans l’air du temps. L’intitulé du stage est toujours « de n’importe être quoi à quelque chose » même si l’apparence peut être trompeuse, sembler différente ou variée, il est toujours question du même sujet. Et tous furent ravis, dans le sens d’être enlevés ou ôtés d’un autre lieu d’un autre temps. L’explication la plus plausible fournie par le peintre est que cet art s’effectue avec un hémisphère cérébral peu utilisé dans la vie de tous les jours. Mais il ne sait jamais si c’est le droit ou le gauche; au bout du compte on peut tout à fait être en droit de décider que ça n’a aucune espèce d’importance.

Circé transforme les marins en cochon mais quid de ceux qui le sont déjà, l’histoire ne le dit pas. A moins que l’évidence soit si limpide qu’on ne cesse de l’éviter. Qu’un cochon soit un cochon véritable de façon magique ou ordinaire, tout comme les lions, les taureaux, et les ânes.

Borgès raconte aussi beaucoup d’inepties pour attirer les mouches avec autre chose que du vinaigre. On peut passer des années innombrables à le lire sans comprendre qu’il se moque de toute érudition. Que la seule chose qui lui importe est en fait une matière poétique, seule trouée de lumière découverte au fond de son aveuglement

Pour voyager une boussole est nécessaire, afin de ne pas perdre le Nord. En revenir aussi à l’intuition à l’impression première; peut-être est-ce une bonne idée d’y revenir lorsque surgit une sensation d’égarement. En revenir à cette admiration pour la mise en page de ce fragment de texte de MONIQUE WITTIG, LES GUERILLERES MINUIT 1969. Il semble bien qu’il faille respecter une certaine proportion entre le corps du caractère et la largeur de colonne (justification) choisie (exemple : pour une justification de 20 à 30 mm, on choisira un corps de 5 ou 6 points, pour une justif de 50 à 80 mm, un corps de 9 points ; un corps de 12 pts pour une justif de 130 à 150 mm). Une justification idéale, procurant un bon confort de lecture, permet de placer 8 mots soit environ 50 à 60 signes, espaces compris

On peut recopier une partie du texte pour voir comment il s’inscrit dans la colonne: « Dans la légende de Sophie Ménade, il est question d’un
verger planté d’arbres de toutes les couleurs. Une femme nue y marche. Son beau corps est noir et brillant. Ses cheveux sont des serpents fins et mobiles qui produisent une musique à chacun de ses mouvements. C’est la chevelure conseillère. On l’appelle ainsi parce qu’elle communique par la bouche de ses cent mille serpents avec la femme porteuse de la chevelure

Peut-être que cette association d’idée entre colonne et texte, exercice d’écriture et double voyage, ménade et folie recèle un sens caché. Et que de ne pas le trouver peut rendre furieux dans le sens où la nature peut l’être à certain moment quand on ne la comprend pas. Mais tout vouloir comprendre est-il nécessaire ? Surtout quand il s’agit seulement de se laisser éclairer du fond de son aveuglement

A propos de Patrick B.

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