- Igor : yeux bleus presque transparents, comme l’identité qu’il transporte.
- « The Transsibérien Express Shortest Way between Europe and Far East. 12 days 1cl 250 $ – Intourist Moscow. Hôtel Metropol represented by all main travel bureaus of the world ». Vu à Bruxelles. Billet acheté par internet.
- Le bruit est vif, les freins grincent, les gens basculent et le décor s’arrête : Nizhny. Kirov. Perm. Yekatarinburg. Tyumen. Omsk. Novosibirsk. Tomsk. Krasnoyarsk. Tayshet. Irkutsk. Ulan Ude. Chita. Bamovskaya. Khabarovsk. Vladivostok.
- Il se perd dans un train qui part tout droit. Perdu, il l’est par essence et par naissance. Sur son passeport, Igor. Lieu de naissance : Tayshet. Le 25/01/1989.
- Entre les gares défilent toute une série d’arbres : d’abord, des bouleaux. Insolents, ils pavanent en rang désordonné. Cependant, la blancheur de leur peau rehaussée de petites lignes noires fait vite oublier leur prétention. Viennent ensuite des épicéas qui – parce qu’ils se ressemblent tous – rendent le paysage presque méditatif. La répétition à ceci d’intéressant qu’elle permet de ne plus penser, un peu comme les ouvriers à l’usine qui répètent inlassablement les mêmes gestes. Enfin, ce sont des pins bas qui vont éclaircir la plaine. Ils se font discrets et comme toute bonne minorité, ils laissent la place à qui voudra (ou pourra) se déployer.
- L’alphabet cyrillique impose qu’on l’apprivoise selon des règles très strictes, sinon il se dérobe. C’est à n’y rien comprendre. Noter : J’ai faim.
- Les-russes-sont-rustres-les-russes-sont-rustres-les-russes-sont-rustres-les-russes-sont-rustres-les-russes-sont-rustres-les-russes-sont-rustres.
- Igor est russe et rigueur, devise inventé pour la beauté du son.
- Par la fenêtre, on prend conscience que le paysage court en permanence. Impossible de le rattraper. Une fois aperçu, il a déjà disparu. Cette course désespère. On voudrait capturer ces images, les fixer et les regarder et les manger et les dominer mais surtout, on voudrait les faire siennes. Or, elles s’échappent. Un regard et elles se faufilent vers l’arrière, insaisissables. Tout comme l’amour, pense-t-il.
- Groupe de personnes sur le quai: yeux étirés, pommettes saillantes, cheveux drus et noirs. Je ne viens pas d’ici, se dit-il.
- -12° degré. Soleil radieux. Gens souriants, sourit-il.
- Une femme vient s’asseoir près de lui après la gare de Tayshet. Elle est belle, la cinquantaine. Elle a les yeux bleus. Elle est russe. Elle lit le cyrillique. Elle vient d’ici. Ou peut-être d’un peu plus loin. Il la regarde. Il pense : Avons-nous le même sang ?
Car le sang est le meilleur service de renseignements au monde : il note tout ce qu’on mange, tout ce qu’on boit, les maladies qu’on transporte, il dispose de nos origines, de notre adn, il révèle nos excès et nos manques. Notre sang se livre à coeur ouvert. Se pourrait-il que ? - Pirojkis: chaussons à la viande et au chou. Noter : j’ai soif.
- Les cœurs chantent dans la voiture voisine. La musique monte à la tête. La vodka aussi.
- Le lac Baïkal, des gens nouveaux. Des vies, des mondes. Chaque monde est un roman. Qui suis-je parmi eux ? Quel est mon personnage dans cette série de mondes qui vient de monter ? Savent-ils que je ne sais pas qui je suis ni qui je suis ? Je n’ai pas de parents donc logiquement je ne suis personne car je n’ai personne à suivre. Et pour suivre, il faut être. Poursuivre, continuer, avancer. Jusqu’à Vladivostok. Point de chute et point final.
impressionné, comme une amplification de la proposition…
Merci pour ce gentil retour! La proposition ouvrait énormément de portes, donc c’était un plaisir d’y rentrer à pieds joints ! Et puis merci pour la découverte de cette autrice que je ne connaissais pas
Tout le voyage y est, de l’achat du billet aux bruits, aux odeurs et saveurs, à l’appréhension de l’inconnu, au paysage par la fenêtre, bravo !
ooooh merci beaucoup pour ce commentaire qui me fait très plaisir !