Le vol de Paris n’allait pas plus loin que Nouhadibou dans mon souvenir, on ralliait Nouakchott par la route, l’unique route, après ce n’était que de la piste. Nouhadibou, le sable et la mer, un hangar et le bœuf bourguignon qui me semble le meilleur de la terre et me rend malade. C’était il y a longtemps. Rien, personne, le sable et la mer. Jamais je n’avais vu un aéroport aussi vide sauf dans la route de Salina où ce n’est même pas un aéroport; Mexique, Californie, Lanzarote, Nouhadibou. N’importe où pourvu qu’il y ait le vide. Partout dans le monde des lieux qui nous parlent plus que d’autres, interchangeables comme si le voyage n’était jamais qu’intérieur. On fait le plein d’un énorme fut en métal qui reste à l’arrière de la landrover et sur lequel Dioum s’assied pour fumer pendant tout le trajet, des provisions aussi pour au moins deux semaines, des oranges parce qu’elles résistent mieux que les pommes, et de l’eau beaucoup, on ne trouvera rien en route, peut-être des sardines en boites et du café lyophilisé, un gros pain de sucre, je me souviens du papier bleu. Pendant des jours et des jours le sable, des affleurements de roche rouge et dans les bas-fonds ces fleurs d’un rose violacé dont les corolles ressemblent à celles des liserons, des ipomées, les nids de tisserins accrochés aux acacias seyal, la boue craquelée du limon séché quand l’eau s’est évaporée. La casse de je ne sais plus quelle pièce, l’attente au milieu d’une sorte de marché. On achète de la viande trop rouge et trop dure pour être mangée. Je suis inconsciente insouciante, je me laisse porter par le jour le jour d’un temps irréel. Tant de temps comme ça passé dans une vie, des souvenirs à peine esquissés, insaisissables, j’ai vécu ça et je ne me souviens plus de rien. Un ensablement peut-être, pas plus, le chauffeur est doué et ça lui plaît. Les zébus au point d’eau le soir, la langue que Dioum ne comprend même pas, le sable, le bois qu’il faut ramasser pour faire le feu, les lits de camp en bois et de toile et les moustiquaires et moi qui suis là et ailleurs dans les interrogations de ce que sera ma vie, de toi qui m’a emmenée là et à qui se limite mon horizon, te plaire, ne pas te déplaire, faire le travail qui justifie ma présence : noter kilomètre après kilomètre la densité et la composition de la végétation sur des cahiers en roulant. Fascinée de retrouver en vrai et vivantes des plantes que je n’avais vues que séchées dans des livres ou les herbiers poussiéreux du Museum, et de savoir que d’autres connaissent tant de choses qu’ils les déterminent sans hésiter dans des brins minuscules. Rien ne m’étonne. Je regarde sans voir. Je ne l’ai pourtant pas rêvé ou alors c’est toute ma vie que j’ai rêvée dans une espèce de torpeur distraite. Comme ces semaines de travail, ces milliers de kilomètres qui n’ont sans doute servi à rien ni à personne. Je laisse à Dioum en partant ce pantalon pat d’eph qui lui plait et lui va. Je n’ai plus les photos, tu les as gardées et jamais rendues. On a vécu quinze ans ensemble après et c’est comme si cela avait à peine existé. Que reste-t-il à la fin ? Des impressions, une hallucination.
« … des affleurements de roche rouge et dans les bas-fonds ces fleurs d’un rose violacé dont les corolles ressemblent à celles des liserons, des ipomées, les nids de tisserins accrochés aux acacias seyal, la boue craquelée du limon séché quand l’eau s’est évaporée » une hallucination ? Retrouvés et perdus les souvenirs touchent … un voyage intérieur qui se transmet
l’écriture fait revenir tant de choses qu’on croyaient oubliées, et si peu en comparaison du vécu
des semaines et des milliers de kilomètres qui nous servent, à nous – c’est déjà pas mal – on aime oublier, aussi – après on peut discuter (en pure perte ?) sur l’utilité… en tout cas merci pour ce chemin
Merci Piero. j’avais mis le titre exprès pour toi…pour que tu me parles du film (culte pour moi…quoique totalement oublié et avec des paysages qui ne ressemblent pas du tout à la Mauritanie)
la Sicile a quelque chose de désertique – j’y ai pensé aussi – merci à toi (c’est un film magnifique qu’on n’oubliera jamais, non plus que le rire de Claudia/Angelica…)