Le vide, c’est le mot qui m’a dit « tu fais ça », il s’est détaché comme le titre d’un film, en lettres capitales, sur le vide que j’essayais de faire désespérément dans ma tête, pour dormir. Le mot a eu ce sursaut d’humour, d’évidence, mais ça n’a rien arrangé, il a continué, le vide, à m’empêtrer. Le vide m’a dit, fais-moi, dessine moi un mouton, mais moi le mouton cette nuit-là, il saute comme un fou, de travers il saute le mouton, petit singe en laisse veut pas du vide. Il voit le vide, mais plonge pas, il regarde le vide, c’est béant, y a pas de pensées, c’est vrai, j’ai fait le vide, j’ai réussi, et après ? Y a rien qu’à attendre, qu’est-ce qu’on s’ennuie là-dedans. Et t’y glisse pas dans le vide, t’essaye le coup du toboggan pour t’y laisser choir dans le trou, trou qui n’en est pas un, parce qu’il a une couleur ce vide, une sorte de beigeasse rosé-du-soir-couchant, un nom de vin frelaté, un ciel à l’envers. En bas, faudrait y plonger comme dans un puits mais un puits qui ne ferait pas moins peur, qui a dit que le rose du vide n’était pas aussi aveugle que la mélasse boueuse d’un puits sans fond, cerné de pierre humides et suintantes où les ongles s’accrochent, l’espoir de l’Homme, ah l’espoir. C’est effroyablement ennuyant un vide, une béance sans horizon où on flotte, comme dans un liquide amniotique qui aurait mal tourné, et on est là, on erre, on se baigne sans se baigner, car rien sur la peau, pas même un contact, ni un ciel, ni une mer, du rien sans fin, sans texture, qu’est-ce qu’on s’ennuie dans ce vide, l’œil dans le vide tandis que le corps dans le lit ça s’affole, ça se tend, ça s’impatiente. Tu crois que y en a qu’ont la couleur du vide différente ? Bleue, noire, c’est vrai qu’il est noir parfois quand on tombe et se réveille d’un coup, un vrai puits dans lequel on s’écroule, au moins on est tombé, de fatigue, parce que moi pas moyen, ça veut pas tomber, lâcher la prise du rebord du sol, ne plus s’accrocher à la motte de terre là et se laisser ensevelir dans le vide qui te happe, t’enveloppe et t’emmène dans du plein, tu rêves de ce plein, cet ailleurs, alors tu te reconcentre sur le vide, qui revient comme une plaine fantastique, une nuée, une vapeur, une brume luminescente dans laquelle tu attends, sans idées, sans pensées. Ah tu rigoleras quand on te parlera de faire le vide, vide comme l’œil d’un bœuf, mais c’est pas vide l’œil d’un bœuf, ça pleure, ça te regarde, c’est mélancolique, placide, fou parfois, mais pas vide. Ah tu rigoleras bien quand tu les verras formuler comme une bulle le mot vide et tu l’éclateras la bulle de vide, pour leur montrer que y a rien dedans, qu’il n’y a pas plus stérile qu’un vide la nuit, un vide forcé, un vide qui n’aspire qu’à se remplir de pensées, légères et passagères.
Oui je me marre bien quand il s’agit de faire le vide. Paraitrait-il qu’il n’y en aurait pas du vide ou bien d’autres diraient qu’il est toujours là et que nous le remplissons. Merci pour ce beau texte philosophique.
Merci mille fois pour votre commentaire Romain et quel plaisir de se parler entre amateurs de yoga.
A vrai dire, ce texte n’est pas complètement « vrai ». Je pratique parfois en fin d’une séance de postures Antar Mouna (le silence intérieur) et ça c’est du vide bénéfique.