Mentir. Mentir aux autres d’abord. Et d’abord à ceux qui m’ont appris à non-dire, à dissimuler, à taire, à mentir. Mentir à soi ensuite. Mentir et bégayer, bégayer, bégayer. Et entrevoir par nécessité qu’entre mentir et jouer une issue de secours autorisait la survie, de jouer à mentir, de jouer à ne plus être bègue.
Une première hypothèse soutient qu’il (le sujet) aurait dit : Que ce n’est pas lui qui induit le mensonge, mais les autres, n’est pas une hypothèse première. C’est un fait que la liste sommaire des premiers responsables établit sans conteste. Sa mère qui lui demandait souvent de ne pas dire au père la vérité concernant certains achats. Son père qui conservait secrètement des photographies pornographiques. Son grand-père qui lui faisait prendre son petit voilier de bois pour faire croire à la grand-mère qu’ils allaient au bassin du jardin public alors qu’ils allaient s’enfermer au cinéma du quartier. Sa grand-mère maternelle qui cachait dans son armoire une vieille photo du maréchal Pétain et ne dit jamais à personne que son mari, milicien notoire, condamné à mort à la Libération, avait fuit en Espagne déguisé en moine.
Parce qu’écrire ne consiste pas à régler ses comptes, il peut être utile d’envisager l’hypothèse selon laquelle il (le sujet) aurait également écrit : Rien n’établit jamais fermement que l’un ou l’autre des termes d’une relation soit la cause principale du caractère mensongé de cette relation. Une tendance se dessine qui accrédite l’idée que c’est la relation elle même qui installe chacun de ses termes dans le rapport qu’ils entretiennent. Si pour ce qui est de la violence une telle hypothèse relativiste n’est pas acceptable, pour ce qui relève du mentir, l’idée mérite d’autant plus de attention qu’aucun des termes d’une relation n’est un, que chacun est multiple et que la multiplicité de la personnalité de l’un rencontre forcément, se heurte toujours à la multiplicité de la personnalité de l’autre. Aussi l’équilibre, toujours instable, qui maintient la relation repose-t-il sans cesse sur un arrondissement des angles propres à chacun, tel un ajustement permanent de l’un à l’autre, une adaptation toujours récurrente de l’autre à l’un. La question de savoir si un tel jeu relationnel serait viable sans recours au mentir est indécidable. Tenter l’expérience pour le vérifier est bien trop risqué.
Pour ne retenir que les expériences vécues d’ordre public, la liste a établir des situations où il (le sujet) a choisi de parler ou d’écrire sans mentir peut être intéressante par les points communs qu’elle est susceptible de mettre en évidence. Deux exemples, espacés d’une dizaine d’années, sont caractéristiques à cet égard: en 1981, il (le sujet) dénonce le double langage du bureau politique du Parti Communiste Français lors du second tour de l’élection présidentielle; en 1995, il (le sujet) dénonce les techniques scénographiques utilisées dans les journaux télévisés par la rédaction de la société nationale France 3 en Corse pour valoriser des organisations clandestines. Dans ces deux cas de paroles libres, jugées déloyales par ceux-là même qu’elles dénoncent, il s’agit de paroles contre, désobéissantes, s’opposant à une doxa. Dans ces deux cas, il s’agit aussi, dans la sphère privée cette fois, de ne pas suivre les conseils inquiets de femmes proches du sujet. En 1981, la compagne du sujet lui demande jusqu’au dernier moment de ne pas réclamer publiquement l’exclusion des dirigeants du PCF pour activité fractionnelle. En 1995, la compagne du sujet lui déconseille vivement de faire publier dans le quotidien « Corse-Matin » sa tribune intitulée « la télé, le clandestin et le sorcier ». Dans ces deux situations, choisir la déloyauté contre ceux de sa caste et résister aux pressions inquiètes et légitimes de ceux et celles que l’on aime sont deux chemins difficiles. S’y promener, les prendre, les suivre peut être douloureux. Mais au bout on trouve la voie, la bonne route, où l’air est respirable, avec un goût de liberté.
Il suffit parfois d’ajouter un « s’il vous plaît » à votre demande pour faire mentir vos bégaiements. Il (le sujet) est sorti du bureau de tabac avec un paquet de Royales ( des blondes) alors qu’il (le sujet) était un fumeur de Gauloises (des brunes rugueuses). Il (le sujet) a écrit : L’acteur qui tient le rôle du non bègue peut sortir triomphant du bureau de tabac avec les Gauloises qu’il voulait et non avec la marque de blondes infâmes dont le nom était plus facile pour lui à prononcer. Le même peut désormais parler aux filles, murmurer aux oreilles des femmes, animer un débat, tenir meeting, causer dans le poste. Mentir donc et jouer, jouer, jouer. Et fumer, fumer, fumer. L’essentiel étant que quelque chose, sans cesse, sorte de ma bouche. Ne jamais caler le moteur: volutes, paroles, fumées, verbes, compléments, tout est bon tant que le flux, privé ou public, persiste et signe. Murmurer, haranguer, écrire. Unique fin : séduire, séduire, séduire. Tendre aussi, espérer toujours parvenir, vers un but ultime, un impératif: jouer à ne plus mentir ou a minima mentir vrai si cela est possible. Pourquoi ces fragments d’écriture du sujet ont-ils fait l’objet de huit commentaires ? Pourquoi ces commentaires sont-ils tous œuvres de femmes ? En quoi ces scriptures du sujet seraient-elles « véritable tentative d’introspection » ? Hypothèse sur les hypothèses en forme de question: ne faudrait-il pas en finir avec l’introspection pour parvenir enfin à écrire ? Et cela est-il seulement possible quand c’est l’écriture même qui fabrique et force le regard attentif à soi-même ? Il serait peut être utile de cesser d’écrire pour porter attention aux autres ? Là encore, tenter l’expérience n’est pas sans risque.
ne pas commenter alors —
c’est est-ce / CS
au initiale de mensonge donc,
aux initiales
Ces tergiversations entre mensonges, doxa, bégaiements, responsabilités partagées du mensonge sont passionnantes ; l’écriture elle-même tergiversée ne le dit que trop bien.
Merci de vos lectures et écritures