Aujourd’hui nous écrivons et lisons plus de texte sur des supports numériques que sur des supports papier, et pourtant nous continuons à parler de livre dans nos histoires. Dans un certain nombre de textes, les bibliothèques, les carnets, les cahiers, les stylos et les livres ont une belle place (le mien y compris). Le papier à du crédit chez les auteurs. Ils espèrent peut-être se protéger du texte numérique qu’ils utilisent au quotidien. C’est peut-être un refus de voir le présent, une nostalgie, un fétichisme. Est-ce que le mot écrivain correspond à une réalité en 2023, le claviériste conviendrait peut-être mieux. Je présume qu’un décalage est induit par cette mythologie. Les récits du temps présent devraient en toute logique contenir des SMS, des mails, des messages vocaux et des PDF, des réunions vidéo, etc., pourquoi sont-ils absents, n’ont-ils aucune capacité à ouvrir l’imaginaire, aucune capacité à valoriser un récit, aucun pouvoir poétique. Le récit naît (a priori) par défaut dans un passé idéalisé (un refuge douillet, un espace-temps « littérature »), pourtant les classiques ont les deux pieds sur terre et sont inscrits dans leur temps.
Villon nous montre son présent, les corbeaux dégustant les yeux des pendus, Balzac nous montre ses intérieurs silencieux, Céline nous emmène pour le début du 20e siècle dans son impasse, Camus nous embarque en autobus pour Alger et cette cohabitation impossible. Le rôle d’un fabricant de récits n’est-il pas aussi de trouver et de montrer la poésie de son « temps » (peu importe l’époque du récit choisie, celui-ci doit-être ancré), d’utiliser la beauté de son monde ordinaire et quotidien. Sans ancrage, le récit ne risque-t-il pas de se perdre dans un nuage de gaz inodore et incolore ?
Promis : j’abandonne le carnet dès la prochaine séance, je passe ouvertement à la tablette et à l’écriture à deux doigts !
C’est une réflexion personnelle partagée, quand j’ai intégré un blog dans mon récit, j’ai eu l’impression de le dégrader et j’ai hésité à faire marche arrière, et manifestement le monde numérique n’a pas la côte dans nos écrits « numériques », c’est étonnant, on est ailleurs.
la part réelle du numérique a-t-elle vraiment dépassé celle du papier-crayon ? si oui, effectivement, on peut parler davantage de cet ancrage au « virtuel ».
pour ma part j’en suis encore très loin. j’écris beaucoup au stylo-carnet, cahier ou feuille, avant d’utiliser le clavier, que j’aime aussi pour le son et le toucher qui me berce en le parcourant…
je lis plus sur papier que sur écran, et quand je publie sur le web je double d’une impression papier pour (re)lier et (re)lire mes « productions » – a fortiori quand je tenterai à nouveau l’aventure de travailler avec un-e éditeur-trice.
et j’inclus dans mon projet en cours des extraits de mails, liens vers des vidéos ou podcasts qui m’ont inspirée… donc suis encore un peu en oscillation !
Mon article est certainement pas clair, c’est l’absence de représentation du monde qui nous entoure, c’est cette absence qui m’étonne ( j’ai pris l’exemple du papier et du clavier, parce que c’est notre outil commun), je serais incapable de situer beaucoup de texte dans une époque ( les classiques et beaucoup d’autres sont inscrits dans une époque), et cela m’interroge. Bien sûr les textes naissent, et ce n’est pas jugement de valeur, mon texte ( et ce n’est pas le seul) est hors temps et hors monde, pourquoi?
Je crois que, à notre insu, ces marques sont là, que l’on veuille ou pas, les référer ou les décrire. Le non ancrage rèvèle peut-être le cadre flou du monde où l’on vit. Belle interrogation, en tout cas.
À notre insu et à notre su aussi – les marques sont là on ne les voit pas parce qu’elles nous sont aveugles. – on met des liens parfois – ensuite pour le livre papier c’est un objet que nous connaissons et au cinéma SMS transcriptions etc sont légion – poser des signes des autres arts – on fait de la littérature on en parle – il y a tout un pan de ces écritures qui vivent ans d’autres compartiments comme littératube par exemple – les repères sont différents mais on essaye aussi d’écrire pour le reste du temps – j’aime assez le « on » – ça va être trop long mais je me disais on lit on écrit mais les soulèvements de la terre la mort de Nahel le régime fascistoïde qu’on accepté tout le reste guerres morts en mer morts de faim de soif tout ce monde on en fait quoi ? Faut voir… Merci pour la réflexion en tout cas
inscrire dans une époque cela ne se fait pas seulement par citation d’un décor, d’objet qui font époque… ce sont des strates qui s’empilent mêmes les pensées des personnages sont dans l’époque, leurs gestes dans des normes sociales de l’époque, la matière narrative peut résonner avec une époque en s’imprégnant des matières depuis l’intérieur de leur constitution. Même nos voix narratives sont datables. Ce que m’évoque ta réflexion, merci pour l’ouverture de réflexion sur le sujet, justes quelques rebonds pour partager.
C’est l’absence de représentation du » monde » qui m’étonne, je me suis amusé à ouvrir quelques classiques, et dans presque tous, dans la première page on sait où on est et quand. Je crois que ça deux avantages, le premier pour le lecteur il est ancré dans le monde où à lieu le récit et c’est confortable, l’autre avantage est pour l’auteur: il a sa disposition tous les mots de ce monde, il peut sculpter dans cet énorme bloc de mots. Pour exemple Laurent Mauvignier dans « histoires de la nuit », nous dit dans les cinq premières lignes, que le personnage est: assis dans une Kangoo sur un parking devant une gendarmerie, il a tout dit, il peut travailler les mots de ce monde.