COLLER dessus le nez coller dessus les lèvres la lécher que les paysages sachent combien elle est vilaine vraiment vilaine pas belle le nez retroussé les lèvres écrasés dessus cette eau dure à souffler une fine buée pour révéler la menteuse frontière troubler cette eau dure dévoiler à quel point le rempart dedans-dehors n’est pas fortifié pas bien impressionnant et que la buée comme la mousseline des rideaux tamisent le grand regard du dehors du ciel et tous ses yeux d’étoiles et la face ronde hilare de la lune qui phosphore dont on se défie au profit des réverbères mais la nuit c’est sa bobine qu’elle y voit se coller au frais de la vitre et suivre du doigt les perles de cristal liquide que le vent chasse scruter les pigeons sur le zinc tiptip leurs petites pattes elle les entend tiptip comme des brindilles qu’entre deux doigts on casse les pigeons qui sanglotent à l’étouffé un chagrin éternellement renouvelé et voilà le grand passeur du dedans-dehors le chat tigre à pigeons qui va frimer dehors se blottir dedans poser au grand félin chasseur sur les gouttières avant de chialoter pour qu’on lui ouvre la fenêtre et qu’on l’abreuve en lait l’est trop bête elle a désormais deux carreaux collés sur le nez deux rectangles sous pont de plastique rose ressorts contournant les oreilles modèle sécu ça suffira bien vous avez raison madame pour un enfant à quoi bon dépenser on se moque d’elle la réalité n’est plus pareille elle glisse à l’intérieur d’un cadre et autour elle est devenue floue se demande si elle va pouvoir tenir longtemps dans cet aquarium elle a le visage collé à la vitre une porte fenêtre c’est peut-être simplement une porte pour les filles de l’air qui dévalent l’étage le long de la façade et s’enfoncent dans la nuit rejoindre les gars du village elle a le nez collé à la vitre car dans l’immeuble d’en face à 20 mètres et deux étages plus bas il y a Lui qui jamais ne montre son joli nez ses beaux yeux sa haute et fine silhouette d’éphèbe alors que son grand et gros frère sourd-muet se désennuie en l’observant elle et quand enfin il disparaît elle écrit sur la buée je t’aime et l’efface aussitôt elle a le nez collé à la vitre et en contrebas il déboule du hall d’entrée tête en avant dos vouté yeux à terre dans son ultime fuite il ne sait pas qu’il porte sa cage incrustée dans son dos qui le pousse en avant toute et elle le contemple une dernière fois d’en haut le fuyard encagé elle a le front collé à la vitre on dirait de la croûte de vieux fromage tu parles d’une vue tout ce grand mur de meulières à moins de deux mètres tu ne devrais pas le prendre il l’a pris quand même tu ne vas pas y être bien il y a été très mal ses yeux ont cogné chaque jour le mur vérolé elle a le nez collé à la vitre quand ils se sont installés dans cet appartement neuf maintenant tout défraîchi à rafraîchir la vue portait jusqu’à la campagne lointaine elle descendait cette rue puis le pont qui sautait par dessus la Marne saute le pont puis coupait à travers la commune voisine puis les champs aujourd’hui on ne voit même plus la Marne depuis l’appartement défraichi à rafraichir elle regarde la vue à travers ses souvenirs et les rideaux sales de la fenêtre d’en face à 20 mètres deux étages plus bas ont-ils vendu eux aussi et leurs parents morts à eux aussi et leur mère dont la beauté ensoleillait la rue quand elle montait dans sa petite Austin dorée chignon de cheveux platine yeux voleurs de ciel où en est-elle de sa beauté et de sa vie que sa mère à elle brune et sombre admirait tant ?
oh que j’aime ce guet impuissant de la fenêtre d’en face (entre autres choses)
ah merci Brigitte et si l’écriture parvient à traduire l’impuissance elle est déjà moindre et tout pas entièrement foutu !
lu, relu, et re-relu… tous ces espoirs de petite fille derrière la fenêtre, je lis l’espoir en creux (mon côté optimiste !)
Oh Marlen , c’est vraiment généreux de prendre soin de lire et relire. L’espoir va avec l’enfance, tous les enfants non? on m’a appris depuis qu’il fallait éviter espoir et désespoir pour cultiver l’inespoir… je m’entraîne!
oui nous sommes passés à « l’inespoir »… très zen comme concept… (mais je pratique aussi !!!)
😉 alors je vous signale très belle expo Bouddha au musée Guimet
Très touchée par ce texte, la gamine, son visage reflété par la nuit, ses lunettes et le flou, son regard avide et puis l’échappée temporelle de la fin
merci Béatrice, grâce à vous je me sens des ailes pour préparer ma valise !
Belle tension de ce regard avide des beautés qu’il embrasse. Chagrin subtil. J’aime beaucoup votre texte, merci pour ce moment.
Merci Déneb, vous voyez juste.
Le rempart dedans-dehors n’est pas fortifié…tamisent le grand regard du dehors du ciel et tous ces yeux d’etoiles… le chat felin qui chialote…il porte sa cage sur le dos… Que de merveilles. Et en plus il y a l’écriture et malgré sa poesie elle ne nous perd pas. On est là et on voit tout. Merci, Catherine.
Oh Anne vraiment merci de votre lecture si encourageante et généreuse. Cela remonte le moral et donne de l’allant pour poursuivre…
ça fait comme avec la buée je t’aime et j’efface aussitôt – des images naissent et s’envolent et puis voilà je reste avec ce un peu de tristesse de regrets et de rêves derrière la vitre du temps passé et ses habits des jours ordinaires. Terriblement aimé.
Terriblement émue par votre commentaire Jacques…
Une émotion souveraine se dégage de ce texte et m’enveloppe… Être un peu là à ses côtés, sans la déranger. Je ne sais pas si cela parle d’espoir, peut-être. Une composition autour d’une nature solitaire et solaire, avec ce brouillard autour des yeux… Un ressenti, parmi tant d’autres. Merci pour cette lecture.