Guérande, place de la collégiale Saint-Aubin, sous le regard égaré des gargouilles et la voûte exagérément bleue pour un ciel de Bretagne, c’est une petite foule qui se presse devant les étals du marché hebdomadaire ; on dirait des pions baladeurs, traînant ici et là leurs pieds et leurs corps dans un dédale d’éventaires, disparaissant et réapparaissant au gré de leur déambulation sous les parasols multicolores ; l’horloge affiche dix heures ce 26 septembre ; la maraîchère la tête sous son banc réarrange les cagettes, évalue ses ventes, d’un geste elle dézippe son gilet matelassé qui lui tient chaud soudain, jette un œil par-dessus son ombrelle couleur mastic – estime peut-être que les clients viendront maintenant – et replonge le nez dans ses sacs plastique quand un homme s’approche un panier rouge rempli d’oranges et le lui tend dans un sourire, le temps d’échanger quelques mots sur la météo, premier sujet de conversation et que dire d’autre d’ailleurs ; de l’autre côté de l’allée, une jeune femme en blouson bleu roi croise une femme en blouson rose suivie d’un homme en blouson de cuir marron ; un passant en bras de chemise, les mains dans les poches, les pieds ancrés dans le sol, jambes écartées, suit des yeux le défilé des blousons ; on se hâte vers l’entrée des halles colorées de banderoles verticales – Boucard Bernard producteur maraîcher, laiterie du Menhir, Poisson marée distribution Nathalie et Christophe, Earl du Cormier… St-Molf ; ici on favorise les circuits courts, on achète aux producteurs locaux, les radis côtoient la rhubarbe, les tomates anciennes et la salade frisée, les carottes et les blettes, ça respire la fraîcheur et le rire d’une femme poussée dans une chaise roulante par son mari sans doute, à la moustache altière, joyeux dans son pull rouge ; on ne se bouscule pas dans l’allée, on se reconnaît, on s’interpelle parfois, et l’on traverse ainsi le marché couvert pour retrouver le dehors et le jour ensoleillé ; quelques clients sirotent un verre de vin ou une bière aux tables dressées à l’extérieur par la brasserie voisine ; ça sent la crêpe ou la galette, un petit gars aux joues roses lève les yeux vers sa mère, du caramel au coin des lèvres et un sourire ; un vendeur de parapluies regarde renfrogné un groupe de personnes tirant cabas à roulettes, portant paniers remplis de victuailles, deviser gaiement dans la chaleur matinale, déclarée maintenant, tandis que l’on s’écarte de la place pour s’acheminer vers une porte ouverte dans les remparts sur la ville au-delà du boulevard, et alors que les forains tentent sous leurs parasols jaunes ou bleus d’attirer le regard vers les nappes, les sacs à mains, les pas portent le long des maisons de granit, austères, aux volets blancs, quand résonne un air local – les bombardes sonnent derrière un grand portail, une fête se donne, et les invités continuent d’arriver, ils entament une danse petits doigts crochetés et en rythme dessinent des 6 d’avant en arrière et d’arrière en avant, les sourires éclairant les visages, on se déplace en sautillant à petits pas, une enfant blonde dans sa tenue vermillon s’est glissée entre deux adultes et suit le mouvement, elle a quatre ou cinq ans, Amazing Love inscrit sur le T-shirt, perturbe un instant la ronde qui s’exclame et l’admire, les sonneurs n’ont pas arrêté de sonner, les talons claquent sur le plancher marin, un homme d’une quarantaine d’années, lunettes de soleil sur le nez, photographie la scène en souriant, il doit s’agir du père de la gamine ; la maman, elle, a été nommée quand la petite a intégré le cercle de danseurs, c’est une fine dame en jupe de suédine marron glacé, bottines assorties, collants foncés sur des mollets galbés, près d’elle d’autres jambes fines aussi, enfermées dans un jean foncé, les pieds dans des baskets blanches, marquent aussi la cadence, tandis qu’un homme que l’on appelle Pascal, de loin, Pascal, Pascal, à la tienne !, abrité sous l’auvent sirote un pastis, accoudé à une table haute, ronde, métallique – le long du trottoir, après le portail et la fête, dans les rues plus tranquilles on déambule encore, mobile collé à l’oreille, tandis que les vitrines reflètent les passants, sous le regard éteint des lampadaires.
merci de flatter mon goût pour les marchés – et pour les jolis détails (entre autres le défilé de blousons et ce pauvre marchant de parapluie.. et etc)
Bonjour,
le texte fonctionne à fond quand la foule…est là, je trouve que le difficile de cet opus est à ce niveau : garder du contexte sans lui faire trop de place, je me permets cette remarque car dans fb vous parlez de « première tentative de foule » et que moi-même ai revu mon écriture dans ce sens-là,
On irez bien danser un peu, à midi, 12 huitres dans son panier !
On s’y croirait !