Ai-je jamais vécu une scène originelle de l’écriture ? Je ne crois pas. Si, bon élève, je collectionne au Collège Saint Paul, les bonnes notes en » français » et inscrit régulièrement mon nom au tableau d’honneur, ça ne prouve rien. Aucun signe de l’éveil d’une quelconque vocation pour l’écriture. Une bonne « rédac » ne suscite pas d’émoi. Tout change en classe de seconde quand je découvre alors l’enseignement de la Littérature française et fais du Lagarde et Michard mon livre de chevet. Je l’abandonne assez rapidement pour aller vers les œuvres elles-mêmes. Le roi n’est pas mon cousin quand j’examine le rayon littérature et poésie de la librairie Beaufreton au premier étage du célèbre passage Pommeray, d’où je sors avec ce que j’estime être à l’époque des trésors.
Je lis goulûment les grands auteurs classiques et m’exerce à écrire « à la manière de ». J’éprouve alors des émotions inédites et semble voir se dessiner devant moi des chemins le plus souvent étroits et escarpés où je me sens pourtant à l’aise. Tellement à l’aise que peu à peu la confiance me gagne. Les notes en dissertation française s’en ressentent et dépassent assez vite celles du collège.
Jusqu’au jour quasi béni où à la remise des copies le professeur ( je me souviens qu’il avait un faux air d’Achille Talon) annonce devant toute la classe : » Alain Bastard, 20 sur 20, un modèle d’écriture ! » . Une vocation est née. J’éprouve enfin l’émoi que les rédactions du Collège Saint Paul n’avaient jamais suscité. Je l’ai retrouvé parfois dans le cours de la vie, mais affadi. J’ai compris assez vite qu’il ne suffit de bien écrire pour écrire.