Il ne reste pas de lettres. Je ne crois pas qu’elle ait jamais eu un carnet. Les femmes n’ont pas de poches assez grandes pour en abriter un. Il aurait pu être dans son sac à main mais c’eut été de mauvais aloi de le sortir en pleine rue et de se mettre à écrire, ou même de le feuilleter. Il y avait à la cuisine un socle éphéméride en bois avec des anneaux en métal. Je viens de découvrir le nom de cet objet que j’ai vu pendant toute ma vie sans avoir besoin de le nommer. Elle notait, à l’avance, les courses à faire et les rendez-vous, et au jour présent les menus, la température et le temps, cela peut-être seulement dans le grand âge, le bloc alors prêt de la fenêtre, elle notait sur le motif, en regardant par la fenêtre en surplomb du jardin. Enfant peut-être, je le feuilletais, étonné de la correspondance entre les jours et les mots. Plus tard je l’ignorais, distance et désintérêt pour la vie réelle, la vie petite. A la fin de l’année, je ne sais pas si avant de le jeter, elle relisait le paquet de feuilles, une par jour, liasse libre une fois dégagée des anneaux de métal. Elle ne se fiait pas aux relevé de la banque et refaisait les comptes à la main sur des feuilles de papier à petits carreaux, des dos d’enveloppes. Il y avait ce grand cahier épais à la couverture cartonnée vert sombre, un registre rapporté par le père du bureau. Elle notait les faits : les visites importantes, les morts, les séparations, les déménagements, les cérémonies. Elle disait : c’est noté dans mon grand livre. Cela avait valeur d’enregistrement. Il y avait le peu qui était écrit et tout le reste. Dans la maison de l’enfance, il était dans l’armoire. Je le suppose près de la caisse en métal fermée par une clé, faite par le père, contenant le livret de famille, les livrets de caisse d’épargne, les billets. Je l’ai vu y écrire dans l’enfance, puis longtemps après, elle l’a montré rapidement, nous étions plusieurs, peut-être tous. Pas de paragraphes. Une phrase, peut-être deux, précédées de dates, suivies d’une ligne de vide. Je ne sais pas si j’ai lu ces deux pages visibles. Je les ai lues et oubliées. Je ne sais pas quand elle a commencé à écrire et pourquoi. Je ne sais pas si le père l’a fait disparaitre. Il n’était pas imaginable d’arriver à la dernière page, que le registre ne suffise pas.
La main qui écrit, est importante. Merci.
Poignant souvenir… tant de femmes l’ont fait, sûrement…
Et qu’en reste-t-il… ce sentiment d’oubli, vertigineux…
Merci Tristan
Oh oui c’est un beau regard !