LÀ derrière la fenêtre, de l’autre côté de la rue un petit jardin enserré entre deux murs parallèles couleur coquille d’œuf, ouvert au regard capté par le fil d’étendage blanc d’environ cinq mètres de long qui le traverse du mur gauche au mur droit, plus précisément tendu entre deux poteaux en bois gris fixés à chacun de ces murs. Les fleurs et les arbustes se trouvent plus près de la maison et ce fil plastifié très résistant au poids et aux intempéries est donc parfaitement visible de la rue et de la fenêtre malgré son très faible diamètre. Sa durée de vie sera assez longue. Tout lisse, le linge n’est pas marqué, et souple, le vent ne manque pas de l’animer. Sa couleur lui permet de se fondre facilement dans ce jardin urbain, mais sans jamais disparaître. Demeure toujours la perception fine d’un fil blanc qui sépare comme une ligne de démarcation le ciel et la terre.
Ce matin très tôt il était vide, complètement nu. Vers 11 heures, une femme est venue étendre toutes sortes de linges, accrochés par des épingles de plastique ponctuant l’espace de couleurs variées. Sur la partie gauche, des draps soigneusement placés, sans plis, masquent une grande partie de la maison, puis des vêtements de taille et de style divers laissent supposer la présence de plusieurs habitants dans ce lieu, homme, femme et enfants. Enfin des pièces de lingerie noire catégorie plus intime révèlent ici une certaine recherche de raffinement. Jeux d’ombres et de lumières au travers du linge, vêtements et sous-vêtements, tranquilles ou animés suivant le temps qu’il fait. Un vent doux s’était levé et il souffle avec fougue en ce moment. Quand il s’engouffre dans le linge, ce dernier se déploie, s’élance vers le ciel, et entonne un claquement de voiles. Des chemises accrochées par les deux épaules s’animent d’une vie étrange. Vêtements de corps absents, mais pas complètement, le vent gonfle les manches de la chemise blanche et des jambes du pantalon noir, la robe bleue est survoltée et danse une danse endiablée ou au contraire dort paisiblement. Plusieurs heures viennent de s’écouler, la femme est revenue en compagnie d’un homme. Un jeu de cache-cache amoureux a agrémenté le ramassage du linge sec déposé dans de grands paniers d’osier. Le fil allégé progressivement de tout le poids du linge mouillé, puis séchant, est maintenant libéré et se détend en prenant une grande respiration. Une dizaine d’épingles ont été oubliées sur le fil, en clignant de l’œil cela ressemble à une ligne musicale ou d’écriture ésotérique. Des martinets viennent de se poser dessus et chantent. Puis tout se tait. Une pluie fine commence à tomber puis à s’amplifier. Heureusement le linge est rentré. La pluie diminue, s’arrête et fait au fil le cadeau de gouttes de pluie qui s’accrochent, glissent, brillent, demeurent quelques instants, parfois des heures, puis tombent par terre ou s’assèchent sur place. Le fil affirme sa propreté, son vide.
L’inoccupation, la désertion ne durent pas. Quelques insectes funambules aguerris, des fourmis et des coccinelles, apparaissent comme par magie et se déplacent sur toute sa longueur comme sur une rampe de lancement puis disparaissent. Ce soir, surgira une nuit de pleine lune révélant la ligne brillante débarrassée de ses fonctions utilitaires ou accueillantes et devenue siège des rêves qui s’y poseront.
La poésie du quotidien, intime et délicate. La ligne des rêves…à la nuit tombée, je la vois.
Merci beaucoup de la partager
Comme Jean-Yves, je suis sensible à la poésie avec laquelle est évoquée cette scène banale du quotidien, à la part de rêve qui s’en dégage, à la façon dont le fil à linge devient le fil ténu d’une petite fiction…
Merci Françoise.
le fil s’est imposé à la fin comme support de rêves;
jolie fin… vais rêver aux nuits des fils 🙂
Touchée par vos lectures sensibles