Prologue
J’avais quinze ans, l’âge de tous les dangers. Le voyage, le premier en terre étrangère sans mes parents, c’était la Grèce. Pays de temples et de pierres, d’eau, de feux d’été, de piqûres d’oursins. Je l’ai sillonné à pieds, en train, en car, en bateau, en taxi, en scooter, trois semaines durant sans marathonner mon séjour mais mythonant mes horizons.
J’ai vu Athènes la première, depuis le Pirée, au pied du débarcadère, j’ai vu se hisser son phare décroché de la côte en golfe saronique, son regard perçant peut-être celui d’Hermès. J’ai vu l’Acropole où se décalquait le soleil d’été, je m’y suis récitée les récits homériques au pied des glues touristiques crapahutant en fourmilière les hauteurs de la cité. J’ai vu les ruelles à la carte, salades grecques, souvlaki sur le pouce à Plaka, la saveur résineuse, écœurante de forêt, de la retsina. J’ai vu scintiller l’île des diamantaires et des joailliers en mer Egée, était-ce Hydra ? Je me rappelle Spetses (sans savoir si j’y suis bien allée ou si je l’ai rêvée), son nom de gomme que je remâche en bouche, sa sève de lentisque. J’ai vu la tempête se lever en golfe argolique, les vagues grossir dans mes tripes et baigner mes yeux blêmes, avant d’accoster d’un bateau taxi je ne sais plus quel littoral (là-bas tous les noms se ressemblent). J’ai vu les yeux d’or d’un jeune grec pauvre et beau comme un dieu ou un berger, qui vivait dans un champ d’orangers, juste une cabane, quelque part au milieu de nulle part. Il s’appelait Takis, il y eut des baisers gorgés de fruits et de sel marin, des peaux mêlées et un sentiment fugace de débarquer l’enfance du côté passager. J’ai vu masqué d’antique le théâtre d’Epidaure, avant les deux lionnes de Mycènes, grises entre les collines et la plaine d’Argos dans l’effleurement fauve et crépusculaire, sourire au bec. J’ai vu la Crète, ses criques et ses routes tortueuses, le camping pied-à-terre de la Canée, d’où sillonnions la poussière soufflée, parfois mordue, J’ai vu le palais de Cnossos où l’or signait la fin du jour (comme celle de son roi, à ce qu’il paraît) dans des ruines encore debout. J’ai vu Samaria, j’y ai couché à la belle dans une nudité d’étoiles, j’ai réchauffé mes os aux chants grecs, à l’Ouzo. J’ai dormi deux heures avant de suivre des fous levés à l’aube et à leur suite, j’ai fait descendre les gorges à des chevilles velléitaires et des genoux séditieux jusqu’à la mer en courant. J’ai vu partout des villages de pêcheurs où des poulpes séchaient arachnéens leurs tentacules comme s’ils étaient en spa de villégiatures. J’ai vu des octogénaires jouer aux dames et aux échecs sur des terrasses ombragées de canisses où s’entortillent la treille griffue. J’en ai vu siroter un alcool brûlant en agitant leur chapelet grec, ce grigri de perles qui roulent rapides bruissant en creux dans un sens puis l’autre de la main, basculant en rythme leur hypothèse musicale. J’ai vu Théra la blanche, la volcanique, la si riche souterraine, la magique, celle des cartes postales repassée à la chaux dans le bleu intact du ciel, elle ne m’a pas déçue. J’ai monté et descendu ses dizaines de marche (sans les compter), j’y ai croisé des ânes tordus dans leur braiment sommaire et des hommes si vieux qu’ils semblaient des arbres. Des cyclades repartie pour de bon, je volais à la Grèce un sentiment d’émerveillement, je lui laissais un peu de mon adolescence.
Pas tout à fait sûre d’avoir compris le principe du prologue mais je me lance…