le double voyage | Terre et Lune

Aujourd’hui je voyage en restant sur place, par les explorations de possibles existences, et je vois comme une étrangeté d’anciens voyages, de ceux qu’on fait lorsqu’on change vraiment de lieu. Non que ce fut désagréable, mais, si je devais les recommencer ou quelque chose comme ça, ils me paraitraient trop proches du tourisme. Le plus drole : maintenant je les vois comme un de ces voyages par possible existence. Ainsi, de même que je me dis « Et si j’étais un ours ? » je me dis « Et si j’étais un touriste ? ». Et du coup j’essaie de retrouver ce que je faisais quand j’étais un vrai touriste. Me reviennent des noms : Morbihan, Chausey, Angoulême. (Oh ! Je ne suis jamais allé très loin, comme vous voyez). J’accepte – c’est le B.A. de la possible existence – que ma mémoire me les redonne sans ordre apparent : Morbihan, Chausey, Angoulême… Dunkerque, Copenhague… Ah ! Deux de plus ! Copenhague me dit Oslo puis Semeløg, mais je n’y étais pas allé cette fois, et me reviennent aussi les iles de la Frise, avec les dunes sauvages de la mer du Nord. Angoulême, Copenhague, Frise, et surgit un blanc ou un noir dans ma mémoire ; dans ma mémoire ces deux couleurs sont identiques et indiquent « rien ». Je me redis Chausey, Morbihan, Semeløg, retrouvant cet horizon lumineux jamais vu en entier qui tend l’immense drap où je flotte. Je flotte quelques instants, à nouveau. Granville revient. Quelques instants je flotte à nouveau. Mais ça suffit : les voyages immobiles sont trop fatiguants.

– Bonjour, je voudrais aller à Mojid, puis à Selioufa, ensuite à Védélouguadi, enfin à Houat et à Luboison.
– Bin dites !… Et vous ne voulez pas aller sur la Lune aussi ?… Excusez, c’est un peu compliqué, car je ne suis que stagiaire ; je vous appelle mon collègue.
– Madame ?…
– Oui voilà je voudrais aller à Mojid, puis à Selioufa, Védélouguadi, Houat et enfin Luboison. Des destinations connues.
– Madame voyage ! Veut-elle aller sur la Lune aussi !? Ah ! Ah ! Mais c’est un peu compliqué, pour vous répondre il me faut un autre ordinateur, connecté à un autre serveur. Je vais chercher un technicien.
– Me voilà.
– C’est pour madame.
– C’est pour un voyage qui commencerait à Mojid, et Selioufa, et Védélouguadi, Houat et Luboison.
– Sans mentir madame pour la Lune ça serait plus facile. Je vais chercher mon chef.
– Pourquoi est-ce si difficile, Mojid, Selioufa, Védélouguadi, Houat et Luboison ?
– Ça n’est pas le même département, madame, et on ne peut prendre aucun TGV, c’est pour ça.
– Je ne savais pas.
– C’est pour ça.
– Mojid, Selioufa, Védélouguadi, Houat et Luboison.
– C’est pour ça qu’on vous parle de la Lune aussi.
– Si je regroupais mes destinations par département ?…
– Mojid avec Selioufa, Selioufa avec Védélouguadi, Védélouguadi avec Houat, et Houat avec Luboison ?
– Non, non, il faudrait faire Mojid / la Lune / Selioufa, puis Selioufa / la Lune / Védélouguadi… ça serait plus pratique, comprenez le principe ; à chaque fois, passer par la Lune ; pour nous c’est plus… oui, pratique.
– Et oui, malheur ! Une feuille morte est tombée sur la liaison directe entre Védélougadi et Houat, nous sommes donc de toutes façons bloqués.
– Entre Védélougadi et Houat ?
– Et un animal non identifié a été signalé entre Selioufa et Védélouguadi, aussi nous sommes provisoirement interrompus. Comprenez : les transversales ne sont pas aussi bien entretenues que par la Lune.
– Selioufa, Védélouguadi ? Mojid, Selioufa, Védélouguadi, Houat et Luboison ?
– Non, non, attendez, et le chauffeur s’est trompé de véhicule entre Selioufa et… nous ne savons où est-il, nous cherchons un autre agent pour le départ. Nous sommes tributaires de l’humain.
– Et la Lune ?
– En tout état de cause nous vous dédommagerons si notre responsabilité est engagée.
– Merci.
– Mais un effondrement qui n’est pas de notre faute s’est produit entre Houat et Luboison, nous vous conseillons vraiment de déplacer votre voyage si vous le pouvez.
– Déplacer ?… je devrais faire Mojivédé, Luboilioufa, Houathouat, Boisonjid, et Selilouguaboisonjid ou Houamojiluboi ?
– On ne peut garder que la Lune.