Dé-part, la nuit qui précède le départ, c’est déjà le départ, ma pensée en attente du sommeil me ramène toujours cette rengaine. Ça a commencé par une journée qui n’est pas le voyage et pourtant un peu quand même, une étape sur le chemin. On passe chez quelqu’un qu’on connaît, dans un petit appartement, un quartier résidentiel, sans âme, on ne s’y promène pas, moi, je n’aurais pas envie de m’y promener, c’est sûr. Et puis après un repas, rassasié, encore plein de l’autoroute avalée dans la journée, on s’allonge vibrant, l’esprit tendu vers son lendemain quand le corps, lui, accroche, ses nerfs griffus au bitume. Les tendons et les muscles gardent forme de la contrainte que l’habitacle leur a imposés, les yeux retiennent sur la rétine l’empreinte des visages de passage, les silhouettes aperçues excitent un peu encore le nerf optique, y laissent une trace évanescente. Il se tient là, à cet endroit, dans la nuit et l’insomnie, le dé-part, il fait la ligne de partage des eaux, du connu, de l’inconnu, du pile et du face, l’un se nourrit des restes de l’autre. Le nom entr’aperçu sur la carte, résonne, fait remonter des échos troubles, Tras-Os-Montes, tramontane, le derrière de la montagne, cela a quelque chose de facétieux, d’irrévérencieux, de légèrement inquiétant, et s’il n’y avait rien là ? Le néant, le cul-de-sac, Vinhais, tout le monde descend et puis, après, on va où ?
Les cartographes sont des grands anxieux, pas de place au vide, le nom pour combler l’angoisse, les courbes de niveau pour aplanir ce qui fait dos rond, pourtant, moi, j’aime me glisser dans leurs cartes, y faire mon lit, plis et replis, recouvert par le drap de ces mots, par d’autres apposés, la nuit du départ, je m’y glisse un peu, un peu plus, à mesure que l’heure avance et le noir recule, on cherche en soi, quelque part, à s’y retrouver, il le faut si l’on veut être un voyageur. Dans l’ombre incertaine, je prends en fin une part de sommeil, j’y suis, prêt, peut-être, et je fais mien un peu de ce départ.