Je redoute toujours le départ.
Je regarde par la fenêtre de mon hôtel, le moins cher a fait l’affaire. C’est la nuit, la pluie a détrempé la chaussée où s’épandent les phares de passage, traînées blanchâtres qui bavent un instant avant d’être avalées par le noir. Des néons colorés d’enseignes périphériques brillent un peu plus loin, je les aperçois sur le bord de la vision. Je laisse mon regard défaire la mise au point et s’égarer dans le flou, un petit coin de refuge. Dissoudre un temps l’anxiété de la nuit, celle qui précède toujours le voyage, pressentir ce qui va s’ouvrir et à quoi il faut laisser faire son nid. J’aime vivre en pensée les moments futurs, bien sûr, ils ne coïncident jamais à ce que je vis ensuite sur place, ils font le jeu, créent la brèche. Cette nuit, celle-ci, je la redoute toujours mais je l’attends aussi, toujours, j’ai besoin d’une dose de fatigue, d’un verre d’alcool, fort, pour ameublir mon sol, y planter les fondements de nouveaux paysages. Je ne peux me jeter d’un seul saut dans l’eau du voyage. Petit à petit, pied à pied, je m’y avance. Une odeur entrevue ici puis, fugace, un rire, là, qui s’insinue en moi, les paysages des plaines et des tourbières, m’y voilà, un instant. La Sibérie, un horizon.
Je doute parfois que notre monde produise encore des voyageurs. Des voyages oui, plus que jamais, est-ouest-nord-sud, Anchorage, Yakouti, Tasmanie, en un bâillement, mais les voyageurs où sont leurs bagages ? Ils arrivent poussés d’un vent, repartis du même élan.