D’abord, au temps du commencement, au temps de l’enfance, il y a les longs trajets en voiture, l’étouffement lent dans la moiteur lourde des tissus laineux, la nausée du déjeuner avalé trop vite, l’odeur entêtante de la chlorophylle des chewing-gums de mon père et le sommeil, toujours au bord, le suspens jamais atteint, le surmenage du défilé du paysage à grandes stries vertes et noires, le décompte des kilomètres sur les grands rectangles bleus à bords blancs. La route s’étend sans fin dans l’indifférence des points cardinaux, toujours le sud, toujours l’ouest, toujours la mer et la perspective horizontale de l’espace infini.
Plus tard, dans le temps qui court encore dans le présent, il y aura des trajets moins longs, dans le sud qu’on habite déjà, quand on a définitivement quitté la grisaille plus au nord et qu’on est désormais avide des paysages chevronnés de montagnes, promesses d’ascensions verticales. Quand elles apparaissent au loin, on a déjà le souffle coupé, on attend le virage à droite et la montée, présage d’une verdure moutonnante, des paysages de contes, dans le silence des grandes forêts de sapins.