Un jour, il a fallu quitter la grande ville grise, la grande ville triste, pour ne pas devenir cendre soi-même. Il a fallu imaginer des toits bas aux tuiles rouges qui pouvaient exister ailleurs. Et si on ne m’avait pas laissé partir ? Et si on avait craint un départ pour toujours ? Dans la lâche débâcle de mon voyage, il y a encore un peu après des affaires rassemblées trop vite, des verrous forcés en hâte, quelques mots abandonnés en vain sur une table. Il fallait grimper au pas de course les étages pour être sûre de partir, il fallait faire toutes ses valises pour ne plus revenir, il fallait faire taire les voix qui rappelaient les jours anciens pour se projeter au loin sur le navire qui glissait vers l’infini.
Dans le lieu forteresse que je n’aurais pas pu quitter, il aurait fallu, d’une fenêtre ouverte, sortir l’échelle de corde, descendre un à un les degrés. Il n’aurait pas fallu regarder en bas, craindre les secousses du vent et les mauvais regards des passants. Dans ce lieu devenu forteresse que j’étais obligée de quitter, il aurait fallu fermer les yeux au moment où le sol sombre et glissant s’ouvrait engloutissant la mémoire de mon passé hiverné.