On sait que la forme d’une ville change très vite.
À peine arrivée parfois, il faut lutter contre l’envie de repartir déjà, d’effacer l’image, celle qui nous a saisis d’abord, peut-être trop vite, à l’abord des grandes villes.
Le chemin est long, on n’échappe pas à la matérialité du voyage en train, serrés, à une place numérotée, on surveille du coin de l’œil quelques effets, quand les paquets ne sont pas mis à nos pieds, coincés sous le siège.
On a traversé le brouhaha des tunnels, clignoté au rythme des néons, perdu les repères du jour et de la nuit (on a attendu en vain de retrouver le premier décor émerveillé).
À l’entrée des grandes villes, la première impression est terrible, des cages à lapins s’entassent jusqu’aux abords des rails, les balcons débordent d’un bric-à-brac qui dénonce l’étroitesse des espaces. Dans ces lieux étroits pourtant on sait que les gens vivent, que la vraie vie même se tient tapie et que le faste monumental des grands boulevards plus loin n’est qu’un artifice risible.
Le train ralentit et on regarde ahurie ceux qui se dirigent déjà vers la sortie, on suit machinalement le long corridor à moquette bleue. On tangue encore un peu. On veut partir à pied, quitter la foule, éviter les sous-sols, aller hors des chemins balisés qui imposent la ville comme un assemblage d’infrastructures, qui dénoncent la ville comme terminus, là où tout finit.
Dans le tunnel à un moment j’ai fermé les yeux, j’ai suivi les falots qui clignotaient encore doucement dans l’obscurité des paupières plissées et j’ai glissé le long des courbes sinueuses. On ne traversait plus l’espace mais le temps qui remontait vers sa source, le paysage retournait à la friche et on n’avait plus rien d’autre à espérer qu’à se laisser porter au gré du mince filet d’eau qui traversait les prés en attendant la chute, le pont, la route, le porche, le point de rupture au milieu de la nature.
On pourrait poser son sac ici dans cette campagne bucolique, imaginer la vie, se bercer de chimères. On regarderait passer les trains sans les prendre jamais, sans connaître l’arrivée, sans comprendre l’envie de fuir. On n’aurait plus besoin de partir. Et ce serait là maintenant seulement.
« La forme d’une ville change très vite, » et l’impression terrible que le train laisse derrière soi comme une traînée qu’on fait semblant d’oublier parfois quand on entre dans le coeur des villes. Merci pour ce texte.
Merci pour l’écho !