— Il dit : Car la terre est vivante ; elle peut se venger et elle se vengera — ce n’est que là, au nord du nord, qu’il réalise ses pastels — lui seul me parle — lui seul à ma confiance — sa pensée m’emporte et m’ouvre à l’Autre — ces Autres sans protection particulière que l’on a payé pour faire partir aux États-Unis la neige et la glace souillées — lui seul a osé dénoncer très tôt les contaminations, les impacts du Broken arrow survenu le 21 janvier 1968 — il y a plus d’un demi siècle de cela — 55 ans — j’avais 16 ans — dans le présent du présent, je suis devant ma télé, consommateur de séries — d’aliments préparés — Porc fumé — saumon — brouillade d’œufs — pain polaire — huit épisodes — trente-deux sandwichs — huit heures de décongélation — quatrième saison de Borgen — du pétrole au Groenland — Américains, Chinois, Russes — politicailles danoises — doués les scénaristes — question : pourquoi il n’y en a pas en France des qui mentent vrai — parce que les chaînes publiques veulent bien un film sur les féminicides à condition qu’il se termine bien — hors sujet d’accord — pas tant que ça, je crois — et puis mon cerveau est ailleurs — loin, très loin — dans un cairn en Terre d’Ellesmere, fjord Alexandra — il l’a construit en juin 1951 — un an avant ma naissance — il a laissé un message dans un sachet métallique enfermé dans une boîte métallique — il en a rédigé la version anglaise — ses compagnons , la version en langue inuit — et puis mon cerveau pourrait partir encore — jusqu’au bout des livres, carnets, journaux de ses Hummocks — jusqu’au plus grand site chamanique du monde aux îles Yttygran et Arakamchechen — mais non, je reste à la terre souillée, la terre qui se vengera — là où le réchauffement du climat fait fondre la banquise — là où le B-52G s’est écrasé avec quatre bombes à hydrogène dans sa soute — là où la neige contaminée est envoyée aux Etats-Unis — huit isotopes radioactifs trouvés sur le site de l’accident de Thulé — des périodes de vie très différentes — Tritium, 12 ans — Plutonium 241, 14 ans — Américium 241, 430 ans — Plutonium 240, 6 600 ans — Plutonium 239, 24 000 ans — Uranium 234, 250 000 ans — Uranium 235, 700 millions d’années — Uranium 238, 4,5 milliards d’années — je ne vivrai jamais assez pour pouvoir espérer un jour, une nuit, apprendre cet art du pastel si propre aux transitions des lumières et des ombres —
Sur les travaux, la vie, la pensée, l’œuvre de Jean Malaurie consulter les pages qui lui sont consacrées sur le site Transpolair
Quel texte! Jean Malaurie, je connaissais son nom sans plus mais là, il y a de quoi lire et voir. 9 sites ouverts déjà, y compris Transpolair et c’est loin d’être exploré. Comme tu parles de lui, depuis ses pastels, les inuits, les sites chamaniques, la poésie de Thullé jusqu’à l’accident du B-52 G, et tu veux rester à la terre souillée, à ce qui touche la désolation du monde. Je ne savais rien du 12e escadron d’alerte spatiale américain utilisé pour l’alerte aux missiles., et encore moins qu’il se trouvait à Thulé. Merci beaucoup.
Merci Simone. Merci.
Merci pour ce texte si fort, si vif, et la découverte de Jean Malaurie.
Merci Muriel de votre passage et de ce retour. Merci.
oui vraiment très beau Ugo et j’aime beaucoup les pastels de Malaurie
Merci, merci Nathalie. Vos mots me touchent. Merci.
C’esf fou qu’on sache tout déjà et que l’on consente enfin à l’apprendre pour de bon quand la matière commence à se venger et qu’on ne peut plus le nier. Mais si l’humanité est soumise à une décongélation diluvienne et toxique un jour ou l’autre, de façon plus cruelle encore que dans les contrées déjà irradiées, on saura d’où sont venus nos aveuglements collectifs et individuels. Un reportage vu hier au soir sur une expédition de Marc HORN parle des mêmes prémices de catastrophe. Déplorer ne suffit pas. On le sait, ça aussi. Merci pour ce texte qui pose des jalons utiles à la reflexion. Et tandis qu’on décolle des murs les petites affiches sur les féminicides et qu’on dénonce les actes liberticides dans les pays où l’on éradique autant l’intelligence que la féminitude, écrire librement ici, est un tel privilège que je ne peux que m’intéresser à ce que tu y montres.
le fond oui… mais surtout la forme, les petites touches qui font lien de lui à vous à son effet sur vous, et dont chacune a du sens –
et pour me dédommager d’avoir mis si longtemps à venir lire (bataillais avec mon bonhomme pour finalement ne pas le dire), m’en vais vite avant d’avoir commencé faire plus que rêver des petites histoires et de reprendre le cours de ma journée qui va m’engloutir de riens, lire les vôtres puisqu’elles s’affichent en tête ce matin