… et toujours, on me soufflait dans le creux de l’oreille et ça remontait loin sous mon crâne, des souvenirs, ses souvenirs qui n’étaient pas les miens mais qui maintenant m’appartenaient.
… et toujours on m’inventaient des vies qui se confondaient, des éblouissements qui me remontaient par l’échine et me laissaient seul dans des rues.
Les habitants me considéraient avec une distance polie, en esquive de me pas, s’écartant avec prudence de mes ombres. Les habitants n’avaient qu’une ombre, stable, solide et ancrée, là on mon image se diffractait et ricochait
Il fallait alors s’assoir, chercher une bouche d’ombre et, à peine rafraîchi, ramener son cœur… Il fallait repartir, chaque arrêt appelant son départ et puis il fallait se souvenir
… et toujours, on m’appelait pour me demander si j’étais perdu, si j’avais besoin d’aide… et toujours, avec une constante sollicitude, on s’enquérait de mes envies, de mon bien-être dans ce pays, le pays de l’autre. Les habitants étaient sur leur trente et un, habillés de chemises claires aux manches longues. Les habitants vous regardaient, vous et votre accoutrement de touristes, avec une souriante bienveillance.
Il fallait marcher, et décliner les invitations à partager le couvert. On avait la ferme intention de visiter la ville, de la sonder et d’en épuiser les recoins. Il fallait pendant les heures les plus chaudes du jours faire une sieste, rechercher la disparue, l’ombre. Il fallait attendre dans l’hébétude, le demi-sommeil, imposé. Il vous revenait alors des réminiscences d’avoir déjà vécu ici.
… Et toujours venait en s’éveillant la sensation de renaître au ralenti, en bref décalage, un écho de vibrations en soi-même Et toujours… le soir venait sans s’annoncer et toujours… la nuit tombait et toute la journée revenait dans un mélange flou de points lumineux quand on fermait les yeux… et toujours, le sommeil digérait la mémoire du jour et l’assimilait à des rêveries étrangères.