… et toujours je retourne à la gare, et toujours je me mets dans la queue, et toujours la chaleur, et toujours la moiteur et toujours les heures qui passent sans que la file n’avance, et toujours les corps transpirants encastrés les uns dans les autres, et toujours cette intimité forcée sans parole.
… et toujours je reviens à l’hôtel de la gare, et toujours je bois l’eau chaude du grand Thermos, et toujours j’attends et toujours je pose des questions sur les trains, et toujours personne ne me répond, et je me désespère d’être bloquée dans cette ville hostile où les habitants crachent, crachent dans la rue, crachent dans les trains, crachent sur mes baskets, je voudrais mais je n’arrive pas à quitter C.
… et me voilà de nouveau à la gare, toujours cette foule dense collée sans un mot, au loin le guichet où rien ne bouge, sur le comptoir un flic lance parfois des cris et déloge quelqu’un de la file à l’aide de son long bâton de bambou et en profite pour lui donner quelques coups.
… et toujours la gare, soudain une jeune femme bouscule les uns extirpe les autres défait la queue pour arriver au guichet. La même dans l’autre sens, volontaire, elle crie à ses amis restés dehors « pas la peine de faire la queue, ya plus de billets pour aujourd’hui ! »
… du coup je lâche ma place dans la queue, je bouscule, je vois en cette jeune femme mon salut pour sortir de cette ville pourrie et j’ai raison, elle seule réussira à m’avoir une place dans un de ces trains brinquebalants et fumants…
… Février, temps doux, soleil tiède, azur tendre. Le soleil me fait de l’œil, je ne veux pas rentrer chez moi. Comme une invite, il me tient prisonnière dans ses rayons. Je les sens sur mon dos amis, et pourtant je devrais penser à rentrer chez moi, mais le retour à la routine m’angoisse alors je préfère errer dans L. ville rosée le matin, ocre vers midi et orangée le soir… je ne pense à rien qu’à marcher et marcher encore, mon calepin accueillant pour quelque pensée vagabonde, quelque bon mot saisi à la volée, un sourire, un regard et je repars. Je ne veux pas rentrer chez moi, j’aime l’errance. Le goût du voyage perpétuel pénètre par mes pores, je le perçois qui palpite dans mes jambes, mes bras, il m’embrase tout entière d’une flamme que j’entretiens au rythme de mes pas et aux braises des rencontres.