La nuit d’avant tout tangue – là-bas, personne ne sait que c’est la nuit d’avant – le tissus du sac de couchage fait ombre dans cette pièce qui ne s’éteint jamais et les voix surtout les voix des hommes si proches au-dessus de la tête – derrière la maison peut-être, d’ailleurs quelle maison, c’est une rue plutôt, un appartement , mais quand on parle de chez soi, toujours on dit « maison » – c’est de l’italien, des rires des anecdotes – c’est de l’arabe ou du français c’est des invectives des choses rapides comme des souffles – je ne dors pas, forcement on ne peut pas dormir, sur cette banquette, toute lumière allumée, et les voix fortes des hommes à côté, pourtant à l’intérieur c’est calme comme une mer il n’y a pas le tumulte qu’il y a toujours dans ma tête avant quelque chose, avant que quelque chose advienne, le voyage laisse la tête au repos, le souffle calme, et tout, tout devient serein, même l’insomnie – est-ce que eux ont dormis, cette nuit d’avant qui n’en est pas une, d’ailleurs, comment il dorment les petits, leurs petits corps ramassés dans de petits lits, et eux, que pensent-ils la nuit, est-ce que c’est calme plat avant tempête ou est-ce que c’est déjà plein de grandes questions – j’ai choisi le bateau, c’est plus long, on a froid et j’aime ça, j’ai choisi de mettre la voiture grise défoncée et tout son barda dans le bateau, c’est la première fois, mais plus tard je ferais de nouveau la traversée, avec lui, et le camion, j’ai choisi le bateau et pas de cabine, trop cher, et on s’en fout après tout, demain j’arrive dans la ville des quais de sable et des fortifications, la ville du petit frère parti, demain j’arrive et je vais bien, je ne dors pas mais je vais bien – eux les frères, ils vont partir aussi mais ils ne le savent pas, ou peut être qu’ils s’en doutent, comme se doutent les enfants, des grands malheurs qui vous tombent dessus, eux, ils étaient prêts et il n’y a que les adultes pour pleurer après, avec des valises dans les mains, des choses qu’on laisse et de grands bateaux aussi, mais pas des bateaux calmes, pas des insomnies apaisées , juste des fuites rassemblées – demain j’arrive, demain c’est bien.