Embarquement la veille dans le Ferry SNCM, ne me rappelle plus son nom. Départ de Nice. Au bout de la nuit, promise, la galette crumble bio, aux bords déchiquetés, dardant son doigt vertical pointé sur le continent, une accusation ? Je ne veux pas savoir, on a désiré l’île. Première rencontre. Direction BASTIA. La mer la bleue est sous nos coudes et nos postérieurs dans la grande salle à manger de la baleine flottante, gros cétacé de ferraille grinçante. Sa grande bouche arrière qu’on a vu se refermer en ahanant nous a fait sourire. Baveuse à travers tous les fanons de ses commissures, elle a avalé sans déglutir toutes nos bagnoles rangées comme des sardines sages. Crissement strident des pneus, énormité des chaînes et des palans… Ballet hallucinant des hommes à gilet fluo orange pour guider nos manœuvres, on obéit. Les hommes et les femmes à chemise blanche, leurs casquettes à galons dorés, leurs vestes couleur marine impec sont à l’étage supérieur. Contraste des tenues et des allures. Les laborieux n’ont pas le temps de sourire, les commerciaux s’y emploient avec aisance et complaisance. C’est le deal marketing. Il y a de la concurrence. Bienvenue à Bord. Soit. Jeux de rôles. Alors on partira avec des inconnus.e.s. dans un vaisseau qui sent le pétrole, on pense au Potemkine en plus petit. Reviendra-t-on saufs ? En tout cas statistiquement, plus de chance de survie après avarie qu’en cas de crash en avion. On est fébriles et pas très sécures, les gémissements de la corne de brume, l’infidélité des sémaphores, la nuit qui tombe brusquement à la sortie du port, le sentiment brutal d’avoir quitté la terre ferme, familière. Tout indique une probabilité non nulle de non-retour. Il y a maintenant et plus tard, nettement séparés. Et si c’était notre dernier voyage ?
Pas de cabine cette nuit-là. On a eu d’abord l’idée plutôt folle et romantique de la passer sur le pont, sous les étoiles, pour ne rien en perdre des sensations de nouveauté. C’est comme pour l’amour et son imprévoyance exaltante des premières fois. Economie sur les billets aussi, ce sera plus d’argent disponible pour le séjour. Confusion naïve avec les promenades en barque sur le lac minuscule du Parc de la Tête d’Or avec les enfants. Mais ici la croisière est plus longue. On guette le mal de mer. Le confinement et l’effet étouffoir de la moquette omniprésente sur le sol et les murs des couloirs intérieurs le rend redoutable. On comprend soudain que l’aération par les hublots et les ventilations mécaniques ne vont pas faire le job. C’est dans les hoquets et les odeurs vomitives des autres passagers.e.s. que le vague à l’âme viscéral survient, attendu, on le regarde en face… On remonte à l’avant sur le pont… Regarder l’horizon… Se tenir collé-serré sur l’acier du bastingage…Rire de notre bêtise… On avait pourtant pris un médoc antispasmodique et engourdissant mais ça déborde… Comment ça va toi ? Pas trop bien, et toi ? On va s’en sortir… Regarde donc le bout de la nuit !
Au petit matin, le réveil ankylosé, la perspective du petit déjeuner, la joie de voir les brumes et la silhouette lascive de l’île. On nous annonce qu’il y a eu un changement de cap… Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen, Signore e Signori, nous avons le plaisir de vous annoncer votre arrivée dans une demi-heure au port de … L’île Rousse ! Nous nous excusons pour les désagréments de votre traversée due à la forte houle qui nous a obligés à dévier notre trajectoire. Nous sommes à votre disposition pour vous aider à regagner votre destination initiale… et bla bla bla… La Corse est donc rousse , comme la lune qui nous a guidé.e.s. Le port est minuscule , la baleine y rentre et manœuvre avec l’aide des aides de marine. Le spectacle est plaisant, l’ambiance est joyeuse sur le pont. Les sourires s’allument comme le soleil. Une odeur de varech et de maquis s’embrouille dans nos narines. La Corse est engageante,
La frôler c’est déjà l’adopter. C’est un amour qui ne tarira pas. Aspettami Corsica !
https://www.youtube.com/watch?v=DfSGhrrrVGI
Des voix surchargées de cris…
Marie-Ange SEBASTI ( 1945-1922), Presqu’une île, Préface de Charles JULIET (1997)
EDITIONS SAN BENEDETTO 1997
D’abord les tours génoises
sentinelles spartiates
aux avancées de roche
solitaires et altières
battues par les vents
même les fantômes
sont tous invisibles
tous morts
*
La belle assaillie
n’a pas pu se défendre
sa langue a commis
la faute des marchands
se rendre aux plus offrants
changer de patrimoine
métisser la nourriture
absorber la tutelle
la ruée vers l’or
des montagnes
la résistance
des vieilles
et des châtaigneraies
Le jour d’avant
tu ne le savais pas
C’est à Corte
que tu as compris
l’histoire et
toutes ses saignées
Les gens d’ici
veulent la paix mais
certains n’ont pas
digéré
la colonisation
Peuple fier
Peuple rebelle
si disparate
désormais
prégnance
du nostalgique
Les femmes
en noir
édentées
Les processions
d’icônes
Les parvis
d’églises décrépites
Le silence ombragé
des villages
perchés
Les jours d’avant
se sont fait nombreux
La retrouver
cette ïle
de toute
beauté
ne pas
la posséder
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