Sur la nappe de coton blanc brodée et bien repassée, le déjeuner dominical, servi dans la vaisselle en porcelaine du mariage, se terminait toujours par un gâteau. Quels que soient la saison ou le temps, quels que soient le nombre d’invités, l’humeur ou l’emploi du temps. Un gâteau charentais, un clafoutis aux cerises ou aux mirabelles (cueillies un été et conservées dans des bocaux), un flan à la parisienne, au caramel, une forêt noire, un fraisier, un saint-honoré, une crème renversée, un Pithiviers (souvenir des vacances à la maison de mémé près d’Orléans), un gâteau de riz (présenté dans le plat en verre rectangulaire au cerclage d’argent et accompagné de sa crème anglaise), un gâteau à l’orange au sirop collant aux lèvres, un gâteau à l’ananas (en conserve). Je mangeais ce dessert confectionné à une heure matinale, avec une petite fourchette en argent, moi qui ne rêvais que d’une simple tarte aux pommes. Pas la tarte aux pommes amandine, croustillante ou à l’alsacienne, ni le crumble ou la tarte tatin, mais l’assemblage des quartiers de pommes et d’une pâte feuilletée soudés par une fine purée. Une part mangée debout, en tailleur, en cachette, à la dérobée, avec le café, le jus roulant sur les doigts jusqu’à s’engouffrer dans la manche du pull ou de la chemise. La peau léchée, presque sucée pour qu’il n’en reste plus une trace. Une morsure dans la chair, primitive. Le pépin oublié étonne et ancre soudain à la terre, il enracine la bouchée. Le regard se perd alors à travers la fenêtre de la cuisine ou la baie vitrée du salon. L’arbre est à deux pas, il n’a plus ses belles fleurs blanches groupées en petites ombelles qui reviendront au printemps. Gourmande, je poursuis ses racines jusqu’à la nappe souterraine. Je bois l’humus et porte au fond de la gorge une histoire millénaire. Elle suinte de tous les pores de ma peau, dégouline à la commissure des lèvres. Je me roule sur la mollesse de la terre, l’acidulé des feuillages morts, allongée sur la nappe blanche tâchée de terre.
Là, je dévore la tarte aux pommes, à pleines mains, à pleine bouche.