Le caddie

Le caddie était bien rangé avec ses frères et ses sœurs, attachés les uns aux autres pour ne pas se perdre. Dès que j’ai vu le caddie, je me suis dit qu’il fallait que je le détache avec le petit jeton blanc, qu’il fallait que je le libère de sa vie de bagnard. Je me disais que j’allais glisser avec lui, que nous allions presque nous enlacer, lui et moi, dans les rayons du magasin. Je me voyais déjà en osmose parfaite, lui et moi déroulant notre pas de deux. Mais j’avais beau le regarder en m’approchant peu à peu, je n’arrivais pas, non je n’arrivais pas, je ne pouvais, non, ne pouvais pas m’emparer du caddie. Caddie appelé aussi charriot, de caddie à charriot il y a cachot me soufflait à l’oreille Ponge. J’avais beau le regarder, l’approcher peu à peu, je ne parvenais pas à l’enlacer. J’imaginais, je pensais qu’il allait faire un beau cavalier, un bon danseur, capable de me faire tournoyer, virevolter. Je l’observais le charriot, le caddie, enchaîné à ses compagnons de misère, je le voyais. A travers ses barreaux, à travers ses tubes verticaux, je voyais une possibilité de folie, une possibilité de danse, de valse. Je me voyais le prendre. Mes mains doucement se poser sur son bras, sur sa poignée, fermement et calmement. J’aurais posé mes mains sur sa poignée, je l’aurais libérée de sa chaîne de fer, je lui aurais donné le goût de la liberté, de l’autonomie par rapport à ses frères et à ses sœurs, les autres charriots, toujours emboîtés. Je restais là à le contempler, à m’imaginer avec lui dans les rayons du magasin entamant une valse, 1-2-3, 1-2-3. Je pensais, je pensais dans quelle allée on pourrait s’enlacer ainsi, 1-2-3, 1-2-3. Ses lignes verticales en acier chromé lui donnaient un air d’élégance, un air que j’espérais apprivoiser, un air que je pensais m’approprier. Mais le ca-le ca, le caddie restait là, en tête de cortège. Mes mains ne parvenaient pas, pas, pas jusqu’à lui, mes mains ne pouvaient pas, ne voulaient pas, n’arrivaient pas à le prendre, à l’enlacer. Je me disais, je vais le prendre, lui faire faire un petit tour, un grand tour, un tour du propriétaire. J’étais un peu étonnée de sentir que j’avais besoin de prendre ce cha-cha, charriot en main, dans mes mains, d’épouser sa courbe avec mes mains, dans mes mains. J’étais un peu surprise de voir que je m’imaginais avec lui dans l’allée centrale du magasin, faire un petit tout de piste, un tour de valse, des pas de danse. Alors je suis restée là, le regard ballant avec le caddie à portée de main.