Il est mort. Dans un incinérateur. En groupe. A moins qu’il n’ait été récupéré, mais même si, pour moi il est mort maintenant et depuis longtemps maintenant. Je ne sais même plus quand ce cache-pot a disparu de ma vie. Le cache-pot de ma grand-mère maternelle, cassé. Morceaux recollés x fois, tant de fois, surtout les rebords. De gros morceaux de faïence épaisse. Des bourrelets de colle dissimulés dans les motifs floraux, le relief des feuilles émaillées. Mais à force d’inattention, de chocs et de restaurations imparfaites, l’eau pour la plante, enfin pour les racines, elle dans le pot, la plante, l’eau se glissait dans les fissures du cache-pot. L’eau sur le parquet, glissait, s’étalait. Tâches claires. Moches. Pas le but. Un cache-pot c’est décoratif, c’est pour cacher la terre, pour cacher là où on enterre. Quelle plante avais-je mis dans ce cache-pot art déco ? Un original des années 20. Peut-être un cadeau de mariage, quoique pas riche ma famille dans l’entre-deux guerre. Il n’a pas survécu un siècle ce cache-pot tout en fleurs emmêlées, ourlées, dentelées, entremêlées, surmenées, couronnées. Pot rococo à souhait. Généreux. Avec bouquets d’iris, tulipes, anémones, glaïeuls, pivoines, clématites autour de la terre. Des fleurs peintes. Caché un pot en terre contenant de la terre avec un cache–pot. Faut y penser. C’est en allant aux Puces que j’y ai repensé, moi, au cache-pot de ma grand-mère. Presque le même en moins beau à l’époque de sa mise en vente, neuf, mais moins recollé, celui des Puces. Dans ce foutoir d’objets, d’époques il a réintégré à ma mémoire des objets de ma vie. Ce cache-pot est redevenu intact. Pas comme je l’ai connu. Quand j’en avais hérité, il devait simplement être ébréché ni fêlé ni recollé, pas le genre de la maison. Ne me souviens pas où il vivait chez ma grand-mère, ni même de la moindre plante verte chez elle. Quand elle est morte j’ai dit que je voulais ce cache-pot, je l’ai eu. Il a fait partie de mon héritage, de mon décor. Je l’ai regardé chaque jour. Jusqu’au moment où à force de le voir je ne l’ai plus vu. Comme la plante qu’il abritait, qui l’habitait. Une maison sans fenêtre, un cache-pot. Il est mort parce qu’un ami une nuit sombre l’a cogné. La fois de trop, comme le coup de trop qui tue et il est mort mon cache-pot.