J’arrive au niveau du bureau de tabac qui se situe à une centaine de mètre de mon domicile. Il donne sur l’avenue de G. principale artère de la ville et occupe une place avantageuse par son accès et son parking. Autant d’avantages qui permettent de réaliser jusqu’à cinq cents passages par jour. Deux véhicules stationnent devant l’entrée. Un des automobilistes a laissé son moteur tourner. J’entre et intègre la file agacée. Devant moi, uniquement des hommes. Je ne cherche pas à identifier le pollueur. Je fourrage dans mon sac à main à la recherche de la carte bleue autant pour me donner une contenance, que laisser dériver ma pensée. « Alors, comme d’habitude… ». J. Le fils de la patronne me connaît. Depuis douze ans maintenant, je me fournis chez eux. A mon arrivée, il était encore étudiant, puis a repris l’affaire aux côtés de sa mère. Du haut de ses vingt-cinq ans, il trône maintenant derrière la caisse où il accueille les clients. Mais non, pas comme d’habitude. Les habitudes me pèsent. Elles nous assignent à un même et unique rôle sans qu’on puisse y déroger. Elles nous restreignent et nous enferment. Il enregistre ma commande sans commenter. Je réprime mon mouvement d’humeur et nous nous retrouvons de part et d’autre du comptoir pour le paiement. Durant l’enregistrement, j’évite le contact des mains comme des yeux, et les garde baissés durant la transaction. Le paiement sans contact sera refusé, il faudra recommencer en introduisant la carte, composer le code. Un début de journée banal, un enchaînement d’agacements, une mauvaise matinée.
J’entre dans le bureau de tabac, cinq personnes font déjà la queue. Il faut remonter la file en se faisant petite entre le présentoir du loto et celui des cartes postales. Un homme jeune, jogging et baskets de marque, est accompagné d’un enfant. Celui-ci sautille devant le comptoir où sont disposés friandises et bonbons. « Papa, papa ». Il trépigne. Le père s’impatiente, réprimande l’enfant. L’agacement remonte la file. C’est au tour d’une femme entre deux âges de style vestimentaire relâché, une habituée. De dos, je la reconnais à sa coiffure, son allure pour l’avoir régulièrement croisée dans le quartier. Elle vient pour les jeux, chacun ses addictions. Comme nous sommes à la veille d’un tirage d’Euromillions, elle tente la chance. Elle complète son achat de deux Astros, un capricorne et un cancer. Les gens choisissent habituellement leur signe, celui de leur compagnon, de leur meilleur ami ou encore celui de leur mère. Le dommage est que les buissons alentours sont jonchés de leurs déceptions. Je peux enfin passer ma commande. J. se dirige de son pas vif vers le mur du fond où sont stockés les paquets de tabac. Complète l’achat selon mes indications. Passe les articles au lecteur de code barre, ajuste la quantité. Je brandis ma carte pour une transaction sans contact. Paiement refusé. Vagues excuses, vitesse du geste différée. On perd du temps à vouloir en gagner. Comme nous sommes en début d’année, J. m’offre un briquet pour me remercier de ma fidélité. Je lui glisse un merci en retour. Je ne lui fais pas remarquer qu’il m’en déjà offert un la semaine passée.
Bonjour Stéphanie, merci pour ce texte efficace et tout en économie (j’aime l’économie dans le langage, même si je la cherche encore…)
J’aime bien: « J’évite le contact des mains comme des yeux […], Le paiement sans contact sera refusé » . J’aime bien qu’il n’y ait pas plus de commentaires que: « Un début de journée banal, un enchaînement d’agacements, une mauvaise matinée ».
Merci pour votre fine appréciation, Natacha, l’économie était visée. J’ai regardé les denrées défiler sur le tapis du supermarché, et vous souhaite bonnes écritures !
peu de contact en effet… malgré tout, cadeau de fidélité qui compte…
merci Stéphanie pour ces passages au / à tabac !
Merci pour la lecture Françoise ! Et non, on ne pratique pas le troc au bureau de tabac, trop urbain, mais c’est un bon poste d’observation. Bon dimanche et écritures
tiens une carte qui est soeur de la mienne
Oui Brigitte, nous échangeons autre chose que des biens autour des caisses enregistreuse, des humeurs, un sourire, comme vous le faites au Monoprix.