10 heures d’un matin lumineux, la chaleur torride pas encore arrivée, ils sont là tous deux, devisant dans une langue inconnue, pas l’arabe,qu’elle entend souvent dans son quartier, souvent guttural, l’accent ici est plus doux, du kabyle ? Oui, certainement, l’accent doux comme leurs visages doux, comme apaisés, toujours si correctement habillés dans leur costume gris, elle les côtoie presque chaque jour en revenant de son casino, tout au long de l’année, ils ont leurs habitudes comme elle, pas de sortie trop matinale, pourquoi faire ? la journée est suffisamment longue pour se préserver cette halte amicale qui coupe la matinée, ils ont choisi ce banc, le troisième de la rangée de bancs aménagée sur cette promenade, toujours le même, lorsqu’ils interrompent leur discussion, ils ont tout le loisir de regarder les passants, les enfants surtout les plus jeunes si gais, qui ont tant de choses à raconter à leur maman ou leur nounou, si lasses de répondre à leurs sollicitations qu’elles font semblant de ne pas les avoir entendues, les jeunes hommes et femmes pressés d’aller prendre leur métro, quelques passants s’arrêtent auprès d’eux,sur les bancs voisins pour y rouler leur cigarette ou manger un sandwich, d’autres sont là depuis plus longtemps, ont dormi là toute la nuit, ont de la peine à ouvrir les yeux sur une journée sans lendemain, démunis, solitaires, mais eux ne le sont pas, solitaires, ils ont leur amitié confiante, savourent le temps qui passe, le temps de leur retraite, ils ont beaucoup travaillé et leurs modestes revenus sont un apport non négligeable pour la jeune génération qui les héberge et a tant de mal à trouver ou garder un emploi mais sont partis au bled cet été comme les autres étés, eux, ils ont restés, ils auraient aimé revenir au pays pour y passer leurs vieux jours, mais ont fait avec cette situation, ils doivent rester en France s’ils veulent percevoir leur retraite, elle, ce n’est pas en France qu’elle est obligée de vivre, mais dans ce quartier, comme une assignation à résidence , une barre tout là-haut, avec le temps ses voisins ont changé, l’atmosphère aussi, mais avec sa maigre retraite de réversion elle ne peut se loger ailleurs, elle envie ces deux hommes si paisibles, elle qui vit dans une angoisse permanente de la solitude grandissante de sa vie avec l’âge qui avance à grands pas, dans un quartier qui devient moins sûr, comme elle aimerait avoir le courage de les aborder ces deux messieurs si corrects assis sur leur banc.
Il faut que tu leur parles, c’est juste le début que tu racontes.
Donc, il faut que je me lance ….dur…dur…cette approche!