Il peut continuer à pieds mais il y a les bandoulières de son sac à dos; elles lui cisaillent l’épaule, celle de droite surtout, usée jusqu’à la corde et rafistolée avec un bout de corde trouvée au fond du sac. Il faut qu’il lâche au moment d’arriver. Ce sac, vingt deux ans qu’il le traine.
Improbable c’est le mot que la femme du compartiment emploie quand il descend du train: Moi c’est dans trois stations après j’ai encore une heure de route c’est que je ne suis pas arrivée et surtout ne vous fiez pas aux horaires par ici les bus sont de plus en plus improbables Regardez quand même le panneau pour avoir une idée.
Plus d’une heure à attendre, si l’indicateur d’horaire des bus est à jour. Horaires d’hiver, de printemps ou d’été : les saisons sont biffées au cutter et le mur de l’abribus s’effrite.
Là un grand bout de plâtre est tombé.
Il voit le trou. Il voit la mouche elle se débat dans la fibre d’un cocon. Ce doit être un nid d’araignée. Ses pattes emprisonnées.
Il photographie la mouche. Avec son œil.
Rien qu’un clignement de paupière.
La mort d’une mouche dans la gare routière de T. C’est ce qu’il enregistre avec son œil quand il arrive.
Il a une heure devant lui, sans doute plus. Et regarder la mouche crever est une possibilité. Comme de s’asseoir et dormir. Comme d’emprunter le chemin qui descend et marcher avec le sac qui blesse l’épaule. Ou descendre à pas lents après avoir jeté le sac. Le livre ou la pomme qu’il contient. Le carnet. Ou la pierre.
La rejoindre à pieds est une possibilité. Depuis le début. Peut-être la seule.
C’est la douleur à l’épaule. La plaie. Elle s’insinue.
Vous êtes blessé dit la femme du train, bien avant qu’il descende. Avant de parler d’horaire de bus Cette tâche dans votre dos ce n’est pas une aile qui pousse que je sache.
Une aile de mouche.
Arriver dans un autre corps ça lui traverse l’esprit. Il a vu le film d’un homme qui devient une mouche.
C’est alors qu’il l’entend. Il entend les frottements de son eau. Loin. Sur la jetée. Se sont ses bleus qu’elle fracasse. Il l’entend dans son infinie turbulence.
Il se retourne pour la regarder.
Il peut enjamber le paysage comme dans le rêve ancien. Chevaucher l’air.
Quand tout est encore possible.
Il peut aussi prendre les ailes de la mouche ; juste un emprunt. De toute façon elle crève.
Prendre les ailes de la mouche pour la rejoindre. Et Toucher l’eau.
Tergiversations et résolution. C’est simple à vol de mouche. Du minuscule, invisible de la douleur dans l’épaule, de la mouche à l’infini de l’eau. Enjamber, chevaucher… C’est bon de te lire à nouveau.
Merci. Anne. Grande inquiétude à devoir enclencher ce départ. Ce roman.
j’ai lu d’un coup, j’ai lu… et c’est un signe (parfois la lecture ne veut pas, et là si, elle veut !)
très importante cette blessure à mes yeux (belle idée que j’aurais aimé avoir…)
et puis on y est, l’inquiétude, et puis « tout est encore possible »… heureusement ça n’est que le début
Bien chouette de te retrouver, chère Nat…
Merci Françoise. Plutôt en panne en ce moment alors j’ai tenté d’ouvrir de petits espaces à faire grandir plus tard…
Esquisse, soulignez vous entre parenthèses comme pour nous avertir qu’il n’y a jamais rien là de définitif. Mais comme toujours vos écritures par toutes les pistes subtiles qu’elles livrent, comme en apesanteur, donnent des ailles. Pour toucher l’eau. Pour l’apprivoiser avec, avant tout, une crainte légitime. Puis lentement, avec prudence, s’y glisser. Jusqu’à s’y plonger enfin et nager sans peur. Merci Nathalie Holt.
esquisser. ouvrir de toutes petites portes. Oui Ugo. Et grand merci pour ce retour de lecture
J’aime toute cette transition qui outrepasse la réalité vers une métamorphose…
Merci Michael. Peut-être un chemin difficile à emprunter
quelle atmosphère plantée là…
Plantée là … j’aimerais mieux pas
Depuis ton texte sur l’eau (et toutes ces photos de forêt qui vont pour moi de pair avec tes mots), la forte impression ( comme l’eau du même nom) que tu trouves le chemin de cette écopoétique qui m’intéresse tant, sans que je sache comment approcher son prisme, autrement que dans l’analyse des textes…
merci de m’ouvrir un chemin Emmanuelle
et voilà que je lis le 1 après le 2 (ai très peu lu Nathalie et ça risque d’empirer) et que je découvre, aimant l’hésitation (là je reconnais en plus affirmée une parenté) et cette petite merveille : la tentation de changer de corps, d’être mouche
Hésitation. Je vais méditer Brigitte sur ces hésitations qui font chemin. Merci d’être passée de 2 à 1 ( malgré toutes les autres choses à faire)
Le fantastique est toujours là à portée d’œil et de main.
Très prenant.
Merci Huguette. Le fantastique « arrivé » sans y penser. Est-ce tenable ?