On l’appelle l’aquarium c’est peut-être pour le clin d’œil le signe de connivence discrète cette manière d’utiliser un argot d’entre soi quand tu parles à n’importe quel infirmier psy surtout s’il est d’un âge pour dire poliment au rebut il le connaît bien l’aquarium il voit tout de suite les larges baies vitrées entourant le grand bureau central l’ombilic des soins psychiques ah ah tout en longueur avec ses tables plus ou moins bien alignées certains toujours ajustent au millimètre d’autres pas posé dessus en vrac le déplaçable bordel des piles de dossiers les classeurs les stylos putain plus aucun même ça ils en donnent plus les dépliants des labos avec leurs infographies colorées pastel terne Zyprexa enfin autour les chaises mais il s’asseyait où déjà ? – le perroquet où se mêlent et superposent blouses et habits qualifiés civils à l’exact opposé l’alcôve et son lavabo miniature en inox encombré de tasses dépareillées entrechoquées dans le saladier plastique rayé sent le produit vaisselle de collectivité l’étagère pour la cafetière et la boîte métallique vide son parfum de café et de nuit en poudre calfeutrés dans les recoins du fond brillant comme une eau d’océan sous lune d’accalmie l’occasion de pester contre celui ou celle qui a utilisé la dernière dose sans se donner la peine de renflouer ça permettra de parler encore reparler toujours de l’esprit et même de l’équipe qui fichent le camp plus rien comme avant en tout cas ça l’avait franchement amusé au tout commencement cette appellation d’aquarium déjà qu’il se sentait carrément pas poisson dans l’eau tant il fallait beaucoup marcher sur les œufs en rusant à la fois celui qui sait un peu car a consciencieusement appris et fera pas n’importe quoi faites lui confiance mais aussi celui l’intéressé pas trop craintif qui pose les questions ad hoc pour combler son manque d’expérience surtout qu’on leur avait abondamment répété à toutes et à lui avant chaque stage soyez curieux n’hésitez pas demandez et si quelque chose vous surprend ou pire vous choque surtout ne restez pas avec ça dans la tête ni le ventre en plus vous rendrez service en faisant sortir l’équipe de la routine ils en ont tant besoin évidemment il a très vite compris qu’il valait mieux choisir très soigneusement quoi remarquer et questionner mais c’est partout pareil et surtout ça lui vient de bien avant cette façon de se méfier un peu oh pas de tout quand même il en crèverait dis mais un peu d’avoir beaucoup entendu sa mère quand elle marmonnait le torchon à la main regardant la rue depuis la fenêtre de la cuisine ressassant qu’il fallait faire bien attention aux voisins se montrer poli et respectueux et surtout être bien comme il faut sinon qu’est ce qu’ils allaient penser de nous qu’est ce qu’ils vont dire et lui convaincu tout à fait maintenant qu’il sera jamais vraiment d’ici parce qu’il y en a toujours des qui sont persuadés qu’ici c’est seulement à eux d’ailleurs il y croit dur comme fer que c’est toujours en premier le lieu des autres heureusement quand même qu’en guettant du coin de l’œil derrière les carreaux ou les portes entrebâillées on peut surprendre comment faire bien comme il faut ciseler sa petite imposture personnelle imiter faire semblant d’appartenir soi aussi mais parfois d’un coup sans prévenir c’est brûlant ça déroute il s’est dit tiens alors c’est donc ça la vraie vie ça trouble ça bouscule ça rit parce que sinon on reste dans ses illusions de savoir tout et que c’est immuable étroit et gris mais en vrai on sait rien si on voit pas comment ils font autour et comment c’est quand ça déborde déraille embrase rigole oh oh bien comme il faut mais il s’égare encore s’est demandé si l’aquarium c’était pas plutôt pour dire le banc d’humains désemparés derrière les ouvertures vitrées à tourner autour se demandant ce qui se trame dedans pensant peut être certains toujours à rien foutre ceux-là bas dedans ou bien se sentant abandonnés oubliés effacés gommés sans amour et sans plus rien d’animé quand on s’attentionne plus du tout à eux et que même nous dedans parfois on arrivait à imaginer qu’ils cessaient vraiment d’exister poissons pâles et terrifiés glissant dans les couloirs vibrant d’angoisse derrière les vitres sans lire les horaires de l’aumônerie l’ouverture de la gestion des biens la charte de leurs droits les temps de réunion toutes ces feuilles scotchées pour qu’ils connaissent tout à fait l’essentiel de leur côté de l’aquarium mais déjà se collent contre la porte frappent c’est pas l’heure c’est la relève voyez bien c’est écrit laissez nous un moment d’entre nous c’est important le temps pour penser à vous mais c’est quand on croyait encore que penser ça ferait peut être pousser des fleurs de vie et de désir éclore des mots et des images d’entre-plusieurs à travers les vitres panoptiques du nombril aquarium voilà tant pis de nos jours on pense plus trop rien les écrans d’ordinateurs ont durci comme des coraux blafards et morts derrière les parois de l’aquarium on s’y aperçoit dedans en reflet petit comme des Joconde flétries le visage fatigué et désabusé placardé derrière la petite lucarne lugubre à cocher des cases à aligner des cases à phraser des phrases à superposer des phrases pour tout ranger tel que convenu convenable autorisable qu’est ce qu’on pourrait bien penser de nous sinon pour encore reprocher critiquer et autour ils tournent tournent ou peut-être c’est lui maintenant parti qui encore dans l’aquarium mais arrête un peu tu files le tournis on lui disait parce que tout ça il en est absolument certain c’est réversible interchangeable et même concoction intime toujours la roue tourne bien plus vite que tu crois et c’est à l’intérieur de lui les roues qui cognent et accrochent il a peur que ça casse quand son père dressé derrière la lourde brouette en bois remplie de terre jusqu’à ras bord moyeu rouillé grinçant sa plainte circulaire la poussait sur la planche au-dessus du talus en soufflant et grognant un grand coup de rein entre les jambes écartées de la brouette pour accompagner l’effort gémissant se rappelle le maillot de corps trempé de sueur autour du cou les muscles des cuisses et des bras gonflés par l’effort peur que ça casse et l’odeur âcre la douche qu’ils prenaient ensemble lui gamin suffoquant dans le coton de vapeur le froid le claquait d’un coup quand la porte de la minuscule salle de bain verte et moite s’ouvrait et encore l’odeur âcre collée par la buée sur le miroir opaque au-dessus du petit lavabo l’eau qui s’en va dans la bonde avec l’odeur les poils et les bulles de savon mais voilà que dans ce pays c’est tout nouveau il lit sur les grilles de la rue et leur trou noir pour éviscérer l’en-dessous ne rien jeter la mer commence ici et avant-hier ou peut-être il a bien vu là-bas la grande maison au toit d’ardoises la façade blanche et son mirage étincelant d’un début de crépuscule d’océan le lent voilier suspendu glissait silencieusement d’une baie à l’autre sur le vitrail de paillettes argentées il s’est planté sentinelle scotchée comme devant les affiches à côté de l’aquarium a frotté ses yeux a bien laissé l’illumination moudre le feu blanc derrière ses yeux et s’est alors demandé sans aucunement savoir d’où comment ça sera quand il aura son dernier souffle fini sous la lourde paupière d’une pierre ou émietté dans la poussière d’une fumée et que sous le ciel éternel tourneront encore les grands goélands criards sur la terre des vivants
L’aquarium
c’est peut-être pour le clin d’œil le signe de connivence discrète cette manière d’utiliser un argot d’entre soi quand tu parles à n’importe quel infirmier psy surtout s’il est d’un âge pour dire poliment au rebut il revoit tout de suite les larges baies vitrées entourant le grand bureau central il le connaît bien: l’aquarium ! — l’ombilic des soins psychiques ah ah étiré tout en longueur avec ses tables plus ou moins bien alignées certains toujours ajustent au millimètre d’autres pas posé dessus en vrac le déplaçable bordel des piles de dossiers les classeurs les stylos putain plus aucun même ça ils en donnent plus — les dépliants des labos avec leurs infographies colorées pastel terne Zyprexa enfin autour les chaises (les dépliées, les aplaties appuyées les unes sur les autres, petit tas contre le mur en attente, prends pas celle-là elle a encore pissé dessus ! ) mais il s’asseyait où déjà ? — le perroquet où se mêlent et superposent blouses et habits qualifiés civils à l’exact opposé l’alcôve et son lavabo miniature en inox encombré de tasses dépareillées entrechoquées dans le saladier plastique rayé sent le produit vaisselle de collectivité l’étagère pour la cafetière et la boîte métallique vide son parfum de café et de nuit en poudre calfeutrés dans les recoins du fond brillant comme une eau d’océan sous lune d’accalmie l’occasion de pester contre celui ou celle qui a raclé la dernière dose sans se donner la peine de renflouer ça permettra de parler encore reparler toujours de l’esprit et même de l’équipe qui fichent le camp plus rien comme avant en tout cas ça l’avait franchement amusé au tout commencement cette appellation d’aquarium déjà qu’il se sentait carrément pas poisson dans l’eau tant il fallait beaucoup marcher sur les œufs en rusant à la fois celui qui sait un peu car a consciencieusement appris et fera pas n’importe quoi faites lui confiance!– mais aussi celui l’intéressé pas trop craintif qui pose les questions ad hoc pour combler son manque d’expérience surtout qu’on leur avait abondamment répété à toutes et à lui avant chaque stage soyez curieux n’hésitez pas demandez et si quelque chose vous surprend ou pire vous choque surtout ne restez pas avec ça dans la tête ni le ventre en plus vous rendrez service en faisant sortir l’équipe de la routine ils en ont tant besoin évidemment il a très vite compris qu’il valait mieux choisir très soigneusement quoi remarquer et questionner mais c’est partout pareil et surtout ça lui vient de bien avant cette façon de se méfier un peu oh pas de tout quand même il en crèverait dis mais un peu d’avoir beaucoup entendu sa mère quand elle marmonnait le torchon à la main regardant la rue depuis la fenêtre de la cuisine ressassant qu’il fallait faire bien attention aux voisins se montrer poli et respectueux et surtout être bien comme il faut sinon qu’est ce qu’ils allaient penser de nous qu’est ce qu’ils vont dire et lui convaincu tout à fait maintenant qu’il sera jamais vraiment d’ici parce qu’il y en a toujours des qui sont persuadés qu’ici c’est seulement à eux d’ailleurs il y croit dur comme fer que c’est toujours en premier le lieu des autres heureusement quand même qu’en guettant du coin de l’œil derrière les carreaux ou les portes entrebâillées on peut surprendre comment faire bien comme il faut ciseler sa petite imposture personnelle imiter faire semblant d’appartenir soi aussi mais parfois d’un coup sans prévenir c’est brûlant ça déroute il s’est dit tiens alors c’est donc ça la vraie vie ça trouble ça bouscule ça rit parce que sinon on reste dans ses couloirs de savoir tout et que c’est immuable étroit et gris mais en vrai on sait rien si on voit pas comment ils font autour et comment c’est quand ça déborde déraille embrase rigole oh oh bien comme il faut mais il s’égare encore s’est demandé si l’aquarium c’était pas plutôt pour dire le banc d’humains désemparés derrière les ouvertures vitrées à tourner autour se demandant ce qui se trame dedans pensant peut être certains toujours à rien foutre ceux là-bas dedans ou bien se sentant abandonnés oubliés effacés gommés sans amour et sans plus rien d’animé quand on s’attentionne plus du tout à eux et que même nous dedans parfois on arrivait à imaginer qu’ils cessaient vraiment d’exister poissons pâles et terrifiés glissant dans les corridors vibrant d’angoisse derrière les vitres sans lire les horaires de l’aumônerie l’ouverture de la gestion des biens la charte de leurs droits les temps de réunion toutes ces feuilles scotchées pour qu’ils notent tout à fait l’essentiel de leur côté de l’aquarium mais déjà se collent contre la porte frappent c’est pas l’heure c’est la relève on prévient comme à l’armée des militaires voyez bien c’est écrit laissez nous un moment d’entre nous c’est important le temps pour penser à vous mais c’est quand on croyait encore que penser ça ferait peut être pousser des fleurs de vie et de désir éclore des mots et des images d’entre-plusieurs à travers les vitres panoptiques du nombril aquarium voilà tant pis de nos jours on pense plus trop rien les écrans d’ordinateurs ont durci comme des coraux blafards et morts derrière les parois de l’aquarium on s’y aperçoit dedans en reflet petit comme des Joconde flétries le visage fatigué et désabusé placardé derrière la petite lucarne lugubre à cocher des cases à aligner des cases à phraser des phrases à superposer des phrases pour tout ranger tel que convenu convenable autorisable qu’est ce qu’on pourrait bien penser de nous sinon pour encore reprocher critiquer et autour ils tournent tournent ou peut-être c’est lui maintenant parti qui encore dans l’aquarium mais arrête un peu tu files le tournis on lui disait parce que tout ça il en est absolument certain c’est réversible interchangeable et même concoction intime toujours la roue tourne bien plus vite que tu crois et c’est à l’intérieur de lui que les roues broient cognent et accrochent il a peur que ça casse quand son père dressé derrière la lourde brouette en bois remplie de terre jusqu’à ras bord moyeu rouillé grinçant sa plainte circulaire la poussait sur la planche au-dessus du talus en soufflant et grognant un grand coup de rein entre les jambes écartées de la brouette pour accompagner l’effort gémissant se rappelle le maillot de corps trempé de sueur autour du cou les muscles des cuisses et des bras gonflés par l’effort peur que ça casse et l’odeur âcre la douche qu’ils prenaient ensemble lui gamin suffoquant dans le coton de vapeur le froid le claquait d’un coup quand la porte de la minuscule salle de bain verte et moite s’ouvrait et encore l’odeur âcre collée par la buée sur le miroir opaque au-dessus du petit lavabo l’eau qui s’en va dans la bonde avec l’odeur les poils et les bulles de savon mais voilà que dans ce pays tout nouveau il déchiffre sur les grilles de la rue et leur trou noir pour éviscérer l’en-dessous ne rien jeter la mer commence ici et avant-hier ou peut-être il a bien vu là-bas la grande maison au toit d’ardoises la façade blanche et son mirage étincelant d’un début de crépuscule d’océan le lent voilier suspendu glissait silencieusement d’une baie à l’autre sur le vitrail de paillettes argentées il s’est planté sentinelle scotchée comme les autres devant les affiches à côté de l’aquarium a frotté ses yeux a bien laissé l’illumination moudre le feu blanc derrière les orbites, s’est alors demandé sans aucunement savoir d’où comment ça sera quand il aura son dernier souffle fini sous la lourde paupière d’une pierre ou égrainé dans la poussière d’une fumée et que dans le ciel éternel planeront encore les grands goélands criards sur la terre des sursuivants…
toute une vie, rien que ça. chapeau bas !
Mais c’est quand même difficile à suivre, ne faut-il pas organiser l’espace pour faciliter la lecture ? avec des blancs par exemple ?
C’est la solution que j’ai choisie.
ah oui j’ai essayé de m’appuyer sur le rythme « naturel » des phrases pour que le texte s’auto-suffise sans ponctuation mais c’est vrai qu’il y a certainement moyen (en tout cas à quelques endroits où je ne suis pas tout à fait satisfait) de faire mieux… La technique des blancs… me paraît trop venir remplacer et marquer des signes diacritiques donc j’hésiterai plus. Ceci dit c’est un texte que je retravaillerai bien si le temps m’est accordé ! (mais des visiteurs sont attendus ce soir pour une quinzaine alors côté écriture ça va ralentir – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis mis provisoirement « à jour des propositions » et me suis également consacré à quelques lectures dont le parcours fléché abribus qui me balade bien !
Magnifique déroulé par touches sensibles et fortes. Cela dit, je suis d’accord avec Danièle Godard-Livet pour l’ajout de respirations.
merci de la lecture et du commentaire, auquel j’associe ma réponse à Danièle… Me dit aussi qu’il faudrait repérer où et quand ça respire moins… c’est peut être en lien avec ce dont il est question et autres suffocations?
Perso je n’ai pas trouvé ça difficile à suivre. Du tout et pourtant je ne suis pas un as pour tout ce qui est flou ou nebuleux, je suis la première à ne rien comprendre. J’ai adoré et ai relu juste pour me refaire plaisir, tout était clair. Les passages à travers les vitres, dedans, dehors, sont super. Je trouve très maîtrisé cet art du sans ponctuation. Bravo. Merci. Adoré le quand on s’attentionne plus à eux, le comme des Joconde fletries, tout le passage sur l’imposture personnelle et faire semblant d’appartenir et ceux qui pensent que c’est ici chez eux… Je cite mal mais bref j’ai adoré
me voilà tout à fait comblé et reconnaissant d’une telle lecture ! Grand merci à vous !