Est-il normal ce silence ?
Il n’y a plus personne dans la gare. Les quelques autres voyageurs sont montés dans des voitures qui semblaient les attendre, éparpillées dans la rue. Il faut croire que ce n’était pas des voyageurs. Un voyageur on ne l’attend pas. Elle n’a nulle part où aller. Elle laisse tomber son sac à dos à ses pieds. Sans bruit, étouffé par la neige. La ville se tait dans un silence lourd. Comme si il ne fallait surtout pas faire de bruit, de peur d’attirer ou de réveiller quelques monstres.
La guerre ?
En face de la gare, sur un bâtiment décrépit une affiche immense avec un visage de militaire et une inscription dans une langue qu’elle ne connaît pas. Elle allume une cigarette et le cliquetis de son briquet semble presque trop bruyant. Sur un banc, sous l’affiche, une femme la regarde. Elle est enveloppée dans un amoncellement de foulards chatoyants. La neige tombe sur elle mais elle semble s’en moquer. La nuit est étrangement tiède. Comme si la neige n’était qu’un décor. Une ville décor. Une ville fantôme. Vestige de ce qu’elle a été. Au loin, quelques toits se découpent, la coupole d’une vieille église, un morceau de forteresse, des tours d’immeubles. On dirait des ombres chinoises sous la lune basse. Plus loin, à sa gauche, elle aperçoit la silhouette d’une statue immense, qui semble brandir un marteau. En dessous, on doit se sentir minuscule.
Elle avance le long de la gare dans la neige, qui lui monte jusqu’aux mollets. Elle lève les jambes d’une manière qu’elle sait bien ridicule, comme si elle cherchait à éviter la neige alors même qu’elle va y replonger le pied. Ou peut-être est-ce pour maintenir ce silence ? Les rues partent dans tous les sens, certaines éclairées, d’autres non. Les bâtiments sont imposants et écrasants et les trottoirs minuscules. Certains murs ont des trous dans leurs ciments décrépits, et avec la neige qui y forme de délicates stalactites, ça donne envie de les toucher. Elle y passe un doigt avec une sensation d’interdit. Elle regarde autour d’elle et croise le regard du militaire sur l’affiche. Elle comprend que ce sont des impacts de balle et retire son doigt. Un corbeau vient se poser sur un rebord de fenêtre et s’ébouriffe, l’éclaboussant. Chez elle, il y a des pigeons.
L’air sent les coquelicots et c’est intriguant, parce que les coquelicots ça n’a pas d’odeur. Alors qu’elle va dépasser le banc sous l’affiche du militaire où la femme est assise, cette dernière l’interpelle. Elle lui dit quelque chose dans un alphabet qu’elle ne comprend pas. Elle semble attendre une réponse, tendant la main. Son visage est ridé, ses yeux absents, ses foulards trempés. Alors qu’elle va pour lui donner quelques pièces qu’elle a fouillé dans sa poche et qui ne sont même pas la monnaie du pays, la femme éclate de rire et lui saisit le poignet. Là, sous un de ces grands châles, elle aperçoit l’amoncellement de bracelets et de jonc en or qui scintillent sous la lune et lui montent jusqu’aux poignets. Ce n’est pas une mendiante. C’est une gypsy. Elle retourne le poignet de la jeune fille qui sent ses doigts se crisper sur sa paume. Cette femme a la chair brûlante d’un fantôme.
Quelle ambiance !
oui, riche de tas de pistes à développer, et il y a du son…
C’est magnifique et délicat. Ambiance sourde, oppressante.
Wouah ! Embarquée tout de suite ! Quelle atmosphère !