Celle qui ramasse la résine récoltée dans les pots accrochés aux pins et il y en a tant et tant à gemmer ; celle qui range dans un tiroir un porte monnaie caché sous un mouchoir refermé sur un petit billet; celle qui rapièce les pantalons de son homme pour qu’ils fassent une saison de plus ; celle qui aime le vent dans les aiguilles de pins imaginant qu’un jour elle s’envolera au loin ; celle qui part à la ville sur son vélo à travers la forêt sans même prendre les chemins, elle connaît tous les recoins, les genêts et les arbousiers, les ornières du sous bois et la couleur des troncs ; celle qui va au marché prendre les nouvelles de la semaine, aime s’y attarder pour la compagnie ; celle qui prend les pins pour ses enfants ; celle qui redoute le silence à table et le bruit de la soupe qu’il aspire à grand bruit de gosier avant de la noyer d’un verre de vin pour la dernière cuillerée ; celle qui ramasse brindilles et pignes pour le feu…
Celle que les gueules cassées prennent pour un ange blanc ; celle qui pâlit à l’odeur du sang et chante dans sa tête pour garder son sang froid ; celle qui lave le soldat aux pieds enrubannés de pansements ; celle qui assiste la blouse blanche et n’a pas les mains libres pour se boucher les oreilles et ignorer les cris; celle dont le nom n’apparaît pas sur la liste des héros de guerre, ne reçoit ni les honneurs ni les médailles et voit l’horreur des trous noirs…
Celle dont les mains aident à mettre au monde un veau à la lumière de la pleine lune, pétrissent la pâte pour le pain qui nourrira les travailleurs des champs ; celle dont la main gifle l’enfant qui a volé dans son porte monnaie et dont la même main le console quand il tombe ; celle qui mélange de ses doigts les épluchures et les restes de pain avec de l’eau pour une pâtée destinée aux poules et le soir du samedi accroche ses cheveux d’une épingle, met une robe à pois rouge pour aller au bal; celle qui de ses mains rugueuses reprise sous la lampe au coin de la cheminée ; celle qui met un cierge le dimanche pensant à la récolte, à sa mère malade et pose la main sur son ventre pour calmer l’enfant qui bouge…
Celle chez qui la jeune fiancée porte le tissus acheté au marché pour sa robe de mariée ; celle qui trace le patron sur un bout de journal, le découpe, l’épingle au tissus blanc satiné ; celle qui de ses doigts offre des rêves de princesse tout en n’y croyant plus disant qu’elle a vu trop d’horreurs pendant la guerre ; celle qui repart la robe sur un cintre le cœur dans les nuages ; celle dont la robe portée une seule fois repose précieusement enfermée à l’abri de la lumière dans une malle au grenier ; celle dont la photo de mariée trône sur la cheminée à côté de deux roses séchées ; celle dont un enfant tient un cadre entre ses mains, regarde une photo et dit « qui c’est ? » ; celle qui pour la première fois appose sa signature sur un chèque, la main tremblante, la signature appuyée …
Laisser venir leurs traces.
ce sont des portraits de femmes superbes, superbe les portraits et les femmes. et c’est merveilleux de leur donner vie. merci
oui, bien d’accord, tous ces portraits donnent force et vie, traces qui prennent forme pour en ouvrir d’autres. Merci à vous