La première fois que l’on mentionne le nom de la plante, on craindrait presque pour notre santé, tant le mot ressemble auditivement à une exclamation qui traduit la douleur, ou la surprise désagréable, et si, d’aventure on se risquait à le conjuguer, le verbe ailler — qui peut signifier frotter un plat à l’aide d’une gousse d’ail ou piquer de la même substance, détaillée en fines lamelles, une viande — cela donnerait : j’aille, tu ailles… ce qui, vous l’avouerez, tend, là encore à nous faire perdre le nord, puisqu’il pourrait vouloir dire qu’au lieu de cuisiner…. on s’en va, le ventre vide. Mais, nous reste l’odeur et c’est de cette odeur que l’on voudrait se nourrir, tant elle est douce à nos narines. Mais pas seulement, car l’expérience met en œuvre l’œil également. Imaginez : une casserole à fond assez épais posée sur un feu pas trop fort et au fond de laquelle fond doucement un peu de beurre. Dans tous ces fonds, tachez de garder la tête hors de l’eau, restez de marbre ! Il fait doux dans la cuisine où je vous emmène, c’est l’été forcément, et, bien que l’on n’ait pas très faim en raison de la chaleur, c’est justement d’odeurs que l’on va se nourrir ! Pas de tracas pour votre ligne. Tandis que je m’entretiens avec vous, je reste en esprit auprès de la casserole où le beurre continue de fondre et de s’étaler doucement, — attention à ne pas le laisser brûler, ce qui gacherait tout —. Une fois que, d’un geste d’expérience vous l’avez soigneusement mené à tapisser tout le fond du récipient, vous y éparpillerez alors, les menant à son contact de la pointe du couteau qui a servi à la détailler (en plus ou moins gros morceaux ou lamelles), la gousse d’ail, blanc ou rose, élue pour l’expérience — ayant pris soin d’oter ses petites peaux translucides parfois collantes, gardant l’empreinte de ses rondeurs ainsi que le départ du germe —. Alors, ouvrez bien grand vos narines et surveillez attentivement que les morceaux épars dans la casserole soient tous uniment enrobés du beurre à peine fondu, à peine moussant — de plus ou moins grosses bulles doivent se réunir et porter en les remuant doucement, chaque petit éclat d’ail — et qu’ils en soient langés en quelque sorte. Laissez-les faire connaissance sans jamais prendre couleur, (cette couleur brune cernant alors chaque morceau, en même temps que de petits points noirs tacheraient vilainement la surface liquide n’est pas de bon aloi), vous avez voulu brusquer les choses ! Et tout serait à recommencer. Non, il faut patienter, mais reconnaissez que vous êtes grandement récompensé de votre patience par l’odeur rassurante qui commence de circuler dans la pièce, elle vous enrobe, comme un vêtement, vous serre de près, celle-là même qui demeure sur la planche de bois, sur le fil du couteau, sur le torchon, et bien sûr, sur vos mains. Tout s’imprègne de ce parfum un peu dru, épicé. Et s’il vous met l’eau, plutot que l’ail, à la bouche, prenez un bon morceau de comté, un fleuri, du lait de l’alpage d’été, moelleux et d’une couleur d’or jaune, et coupez-en une large lamelle avec le couteau qui a servi à détailler l’ail — et que vous n’avez pas encore lavé ! — . Le fromage et l’ail se marient en bouchées savoureuses, fondantes, que je vous soupçonne d’avaler trop goulûment. Ralentissez ! Et, pour finir, si vous n’êtes pas rassasié, voici la recette d’un entremet, inscrite au menu d’un restaurant de ma ville : des cubes d’une guimauve à l’os à moëlle que les convives trempent dans de l’huile chaude parfumée… à l’ail !
Et à la fin, n’allez pas me rétorquer que, où que vous alliez, l’ail n’est pas votre allié !
Génial ! Vraiment….L’ail fait des rondes !
Merci beaucoup Sandrine, pour vos gentils mots à propos de l’ail
J’aime beaucoup l’adresse, regarder par dessus l’épaule de la cuisinière l’ail blondir, mais aussi la façon sensuelle d’écrire sur cet aliment, projeter sur lui la sensualité, et …la décaler,
C.
Merci beaucoup pour votre lecture Catherine