Elle est entrain de faire des exercices
de math debout accoudée au beau vaisselier de la grande salle
commune de la maison familiale, elle a 12 ans, c’est l’été, ce sont
des devoirs de vacances, son père essaie gentiment de lui faire
comprendre l’exercice, elle tient sur son poing droit un jeune aigle,
quand soudain celui-ci s’envole, la porte d’entrée est toujours
ouverte l’été, il prend son envol superbe, mais elle l’aperçoit
qui soudain revient en piqué , fonce sur la façade en pierre et
s’écrase, se disloque en un jaillissement de sang….
Combien
elle est alors soulagée de se réveiller de ce cauchemar dans sa
chambre citadine en même temps qu’elle reste effrayée par cette
vision d’horreur , leur maison de vacances si chère encore à son
cœur, le lieu des seuls moments de joie de son enfance grâce à la
bande de copains avec qui elle a de si joyeux souvenirs de jeux, être
le théâtre d’une pareille scène, tellement d’années plus tard!
cette sidération dure, dure, pollue son quotidien même si elle a
décodé tout de suite le sens de ce rêve.
Au bout d’un moment
,elle se dit qu’elle n’a qu’une solution, celle de peindre cette
scène, la sortir de soi pour la projeter à l’extérieur. Aussitôt
elle se met au travail, choisit une des plus grandes toiles qu’elle a
en réserve, il lui faut une grande dimension, elle qui utilise
d’habitude de plus petits formats, elle se met alors au travail en
commençant par la façade de pierre grise , cette façade qui dans
la réalité est si pimpante avec ses fenêtres aux jolis volets
marrons, avec la vigne veitchii qui grimpe tout le long et prend de
si belles teintes rouges à l’automne, non sa façade devra évoquer
celle vue dans son rêve, stricte, grise.
Elle veut une vision
frontale de la scène, elle travaille sur la structure un peu
granuleuse qu’elle doit lui rendre elle y arrive avec un mélange
qu’elle réalise avec la Modeling paste, un de ses médiums favoris
et pour arriver à la couleur,quel travail! après avoir été si
longtemps mécontente de ses résultats,elle arrive enfin à
reproduire le gris des pierres. Maintenant elle peut passer au sang,
là c’est plus facile, un godet de carmin ajouté à l’eau qu’elle
jette sur la toile et qui dégouline lentement, oui, c’est ça!
Il ne lui reste plus qu’à s’atteler à la partie qu’elle redoute,
elle a le sentiment qu’il lui faut pourtant terminer rapidement son
travail, comment décrire la dislocation de ce bel animal, elle qui
est si maladroite dans les descriptions de la réalité, préférant
l’abstraction, elle s’essaie à reproduire ses ailes écrasées qui
pendent désormais lamentablement , pour le corps elle sera allusive
le plus possible, elle ne sait pas faire…. de toute façon ce qui
caractérise un oiseau ce sont ses ailes à fortiori pour un aigle,
finalement elle juge que ce travail est suffisamment véridique à
défaut d’être esthétique, elle s’est libérée,c’est ce qui
compte, elle le remise derrière ses autres tableaux la face peinte
contre le mur.
Sur les branches souples de l’olivier
de son balcon citadin six petits moineaux se balancent dans la gaieté
d’un matin de soleil.