Un voyage d’été sous les tropiques est le premier voyage que j’ai fait par procuration en suivant un être cher sur son petit bateau à voile : Santa Cruz, Frederickstad, Sainte Lucie, Castries, Choiseul, Saint Christophe, Basse terre, Nevis, Montserrat, Plymouth, la Dominique, Roseau, la Martinique, Saint-Pierre, Fort-de-France, Fort-royal, la Barbade, Bridgetown, la Guyane, Georgetown, Demerara, Trinidad, Port-of-Spain , Orénoque et la Grenade, Saint-Georges, Saint-Vincent, Tobago, Saint-Thomas.
Autrefois, j’avais soif de voyages : la grande zafra à Cuba, Baram un kibboutz en Galilée, se réveiller au bord de la mer morte, une coopérative de production dans la sogenante DDR, ramasser les gurken avec les femmes et les enfants à Gross Neuendorf, traverser le mur à Berlin, un zeste de Pologne, herboriser en Mauritanie, Nouadhibou, Adansonia digitata, cram-cram, manger un poisson pourri avec un chinois à Tidjika, rêver de Tombouctou, enquêter dans les ejidos du Mexique et me promener dans les jardins de Palenque, Coyoacan et Frida et Diégo et Trotski, marcher sur les digues et goûter le sucre de palme à Songkla, voir la Chao Prya à Bangkok, se faire coudre un wax sur le marché de Ouagadougou ou sentir les feux de bois en arrivant à Bobodioulasso, des souvenirs lointains, rien que des souvenirs, passer un été à Beyrouth pendant que les parents sont à la montagne et préférer le mezzé au festival de Baalbck, rechercher les abricotiers de la ferme du beau-père à Maknassi… je voulais tout voir tout connaître, savoir comment le monde bougeait.
C’est à Fort-de-France que j’ai fait la connaissance de Lafcadio Hearn. les Martiniquais aiment Lafcadio « voyageur magnifique » dit de lui Raphaël Confiant, « questionneur étrange » de paysage dit Aimé Césaire. Il a donné son nom à un marché et à un parking à Fort-de-France, celui d’Auchan juste en sortant de la rocade. Je suis si souvent allée à Fort-de-France à une époque que je savais guider le taxi vers tes différentes locations à Schœlcher, Saint-Joseph, ailleurs dont je ne sais plus le nom. Je t’ai fait un jardin tropical à Saint-Joseph, sous l’arbre à pain du jardin au bord du ravin au fond duquel le voisin élevait ses coqs de combat.
Mon goût du voyage s’est perdu.Trop de temps de transit, trop de monde, trop peu de temps passé sur place. L’empreinte carbone. Je n’aime plus la façon dont on voyage. La soif de voyage m’a quittée avec l’âge. Ecouter les expats vanter leur cuisinier et leur jardinier mais se plaindre de tous les autres et de la France en buvant avec eux du Whisky ou de l’infusion de citronelle ne m’amuse plus, pas plus que les aventures extra-conjugales qui les occupent, pas plus que de serrer les fesses quand votre hôte double de nuit un grumier sur la route de Yamoussoukro à Abidjan. On m’a emmemnée à l’île de Gorée à Dakar, mais je ne saurai dire où et pourquoi j’étais au Sénégal, bien loin dans les terres. Trop de choses vues sans en garder trace. Le goût des microvoyages m’est venu, petites explorations en profondeur. Istanbul sous la neige ne me tente plus pas plus que les plongeurs dans la Néva glacée de Leningrad quand je voulais reproduire la photo d’Henri Cartier-Bresson, The Cloisters était fermé à New York, c’est Central Park qui pourrait me manquer, mais je vis très bien sans. Qu’est devenue Krissa, la guide de ce voyage grec qui était tombée amoureuse d’un pêcheur ? Et Leonard Cohen est mort comme Saint-Pierre et Montserrat ont disparu sous le volcan. Il faudrait le courage que tu as eu d’émigrer, de vivre ailleurs. Je ne l’ai jamais eu.
Il y a encore eu la Guyane et Montréal, l’ile de Cayenne et l’île de Montréal. Comme Lafcadio j’aime les îles. Le monde ne me tente plus. Il s’est rétréci, on l’a abimé. J’ai toujours voyagé avec des livres, des récits de voyage d’itinéraire de Paris à Jérusalem à l’été grec, de quelle étrange histoire au Superbe Orénoque. Je ne voyage plus désormais que dans les livres et sur Google earth. Je n’irai pas au Japon comme Lafcadio, jamais au Japon, ni aucune autre de ces destinations lointaines qui me tentaient autrefois.
On ne voyage plus comme Lafcadio Hearn, né en Grèce d’un père irlandais et d’une mère grecque, élevé à Dublin, journaliste à New York puis en Louisiane, amoureux de la Martinique, naturalisé japonais, père de trois enfants de son épouse japonaise, introducteur du judo aux États-Unis. On ne voyage plus comme les grands découvreurs ou les grands journalistes. On prend l’avion et en quelques heures on est au bout du monde, sonné, pressé de le raconter sur Facebook et agacé du moindre retard pour rentrer chez soi. C’est peut-être pour ça que je n’aime plus les voyages ou que je préfère les faire par procuration.
Ne plus jamais dire jamais – jamais – qui sait ? Qui peut savoir ce que te réserve nous réserve demain ? Et puis ca m’a beaucoup plu – merci beaucoup donc
Merci Piero. A défaut d’aller au Japon, j’avais envie de rajouter : j’ai introduit l’aïkido à Lissieu.
Danièle, le monde s’est retréci peut être mais il m’élargit toujours. Véronèse au Louvre, Véronèse à Venise ? Bartholdi à NYC, à Denfert Rochereau ? Je ne sais pas. Les deux ? Mais Lafcadio forever ! Bonne journée.
Ne pas se rétrécir, ça reste l’objectif, mais trouver d’autres moyens.Bonne journée à toi.
et bien si, le voyage est toujours là, même mental !
vos goût et talent pour le partager sont de si beaux navires, bien plus vastes et poétiques que les immondes hôtels flottants devant la Savane ou les traces des avions dans les ciels ravagés de tous les aéroports…
solidarité et remerciements pour vos mots et pensées, Danièle, hâte de vous lire encore !
Merci Gwenn. Découvrir ce qui est proche devient étonnament à la mode et prend le pas sur le lointain.