(photo d’entrée de blog : (c)ana nb
Il se serait agi de découper cette histoire en grandes tranches : avant le débarquement de juillet soixante aurait été un chapitre (La Terrasse en indique un chemin) ; on aurait découvert la deuxième époque qui se serait étendue jusqu’à mi soixante-douze ; puis ces années soixante-dix qui auraient été bornées par l’abandon éphémère des études et des désirs de cinéma. Puis en continuant encore, les années quatre-vingt puis l’arrivée des enfants, la profession, la continuation, la perte de ceux qu’on aime
On aurait eu ainsi un déroulé chronologique de l’histoire. Tout reste, comme tu vois, à faire, ou presque : il n’y a, comme tu verras dans la huit, que quelques traces ici, là, ailleurs encore, de cette vie-là, cette existence, cette biographie auto-produite pour cet été.
Il s’agirait d’une affaire de personnel – politique (hypothèse 1), artistique (hypothèse 2) ou autre (2bis : littéraire, 2ter : cinématographique). Il faudrait consulter les archives des journaux, relire les histoires contemporaines, relativiser par rapport à ce qu’on en a vécu – retrouver les lieux et places (par exemple pour les vacances dans la jeunesse) et les gens
Il pourrait aussi s’agir de retrouver les gens qu’on a côtoyés (hypothèse 4), les amis d’école, ceux de la rue, les autres, les profs ou les commerçants – les après-midi passées chez les amis, les amies, les connaissances, celles des sœurs et du frère, se souvenir de ces gens-là
Des événements marquants dont on se souvient (hypothèse 5) l’assassinat à Dallas du président US, le tailleur de sa femme plutôt française taché dans la décapotable, la stupeur (elle me fait penser à celle du onze septembre de l’an zéro un du siècle) mais non quoi d’autre sinon le général et ses conférences de presse, la télé beaucoup donc, (mais je ne l’ai su qu’après) qui parlait de ce peuple fier et dominateur (les juifs, mais quelle idée…), de ma grand-mère outrée – de quoi me souviens-je des bombes sous les tables des cafés d’Alger ? Presque rien – bien sûr soixante huit – quelque chose avec les papes, Jean 23 et Paul 6 – ce type de brutes – la peur qu’ils inspiraient – une époque, ce personnel-là (le sourire du maire de Rouen, ce bellâtre un peu idiot – je n’avais pas d’esprit critique – la campagne des élections, « les cinq colonnes à la une » (les trois Pierre et l’Igor) – pas mal de télévision donc bien qu’elle disparût pendant deux ou trois ans dans ces moments-là – ce n’était pas le jeu : il n’y avait pas de femmes, seules peut-être les speakerines, les Jacqueline (Huet et l’autre je ne sais plus) (Cora, voilà, les blondes), Anne-Marie Peysson je crois, (brunette) puis Catherine Langeais et son mari (l’un des trois Pierre, là) et l’autre cuisinier – des souvenirs de la recette pour la cuisson des pâtes – des souvenirs que j’ai laissés là, sans autre forme que de rester là, peuplant ce monde-là (au nom de la loi et destination danger) – et peut-être aussi les bandes dessinées, Aggie et Lili des filles, Spirou et X13 de mon frère – de moi-même, rien, je venais ensuite sans doute (Pim Pam Poum, les histoires de l’oncle Paul, ces trucs-là) – il faudrait étayer, regarder et se souvenir encore – il faudrait
Ce sont des travaux épars – c’est disséminés dans les interstices
Les artistes de variété
Avant que ça ne se nomme de soi-même « ressources humaines » cette partie du jeu était intitulée « personnel » – directeur du personnel ; James Bond qui lance sur la table de la roulette une plaquette de cent (ou cinq cents) livres sterling (et non des dollars, trop vulgaires) en disant avec un sourire au croupier « Personnel… ! » ; le petit ; le générique ; les places ; les postes (en italien, cette femme qui montait dans le Vintimille-Turin par Limone en criant « Posto ! Posto !! » afin que, pour elle, se libère une place assise) : et donc il s’agit de ces hypothèses là – j’intitule le neuf « Lâcher de noms » pour traduire la pratique courante des anglo-saxons (plus ça va, plus ils s’éloignent de ma sympathie) – surtout les variétés de l’époque (hypothèse 3 la seule traitée ici avec un peu de désinvolture) – pas le cinéma, dommage il viendra dans les décennies suivantes – époque circonscrite aux années soixante ces gens qu’on connaissait parce qu’ils faisaient partie de ce personnel culturel dirait-on maintenant – ça ne se disait pas, Dédé (mais pas celle d’Anvers, celui de « L’espoir », qui mangeait du pigeon chez Lasserre) allait inventer les maisons de la culture et Alain Bombard (qui fait partie de ce personnel-là, politique et très éphémère en quatre vingt-un, héroïque ou quelque chose, vivait derrière celle qui fut inaugurée dans les premières, celle d’Amiens) – énonciation qui commencerait par les trois b (les ordres aussi sont importants : sympathie ou vrai amour donc) : Brassens, Brel, Bécaud et ceux du a : Aznavour, Adamo, Marcel Amont – on n’en finira pas mais c’est tant pis et c’est lancé – les filles, Françoise Hardy (parce que message personnel sinon, ainsi que son corse de mari cynique, on a un peu tendance à l’agonir) Sheila (plus tard avec son Ringo qui renvoie – mais pourquoi ? – à Mike Brant, défenestré comme on sait (?)) Pétula Clark (ce prénom : une merveille – que fais-tu là Pétula ?) – Barbara qui n’en faisait pas encore des tonnes, Mireille (pas Mathieu, celle de Jaboune et du petit chemin) et son petit conservatoire, Ricet Barié, Yves Duteil (?) : peut-être après tout, probablement plus tard, mais déplorable), les anglophiles Johnny (et Sylvie) Eddy (Mitchel, mais aussi Barclay), Dick Rivers, Monty Richard Antony et Franck Alamo – cette image de SLC, réalisée par le fils de Henry Salvador recueilli par François Périer – ces affaires-là qu’on ne connaissait pas qui font de ces gens des personnes comme les autres – il y avait Guy Béart (bof, finissant téléshowman) il y avait Georges Ulmer et son accent semblable à celui de Constantine Eddy, Daniel Gérard et son chapeau, France Galles sa sucette et Serge Gainsbourg et donc Jane Birkin – son accent et donc (plus tard) Lucien et sa grande demie-sœur – mais chansons restons-y – toutes ces chansons françaises comme on dit « à texte » comme on disait « interprète » « Nonoletta » non, enfin peut-être mais surtout « Melocoton » (cette merveille magnifique « j’en sais rien, viens, donne moi la main ») par Colette Magny, « auteur compositeur » Michel Delpech (un peu) ou Berger (un peu plus) dont le père soigna le mien, Patachou (c’était avant – c’était pendant) et « la bague à Jules » (surtout Temporel et André Hardellet – et les paroles qu’on ne comprenait pas si bien (si tu reviens jamais danser chez Temporel, un jour ou l’autre /pense à tous ceux qui ont laissé leur nom gravé auprès du nôtre – on comprenait « d’une autre ») mais les yéyés donc, cette chanson « chez les yéyés » – Claude François ou j’en oublie – la plupart, je ne les supporte que un peu – on ne peut pas les réécouter – les magnolias ?- Dalida ? Bobby Lapointe ? Jean Constantin (pour Caroline), Jean-Claude Pascal, j’en oublie jte dis, peut-être les plus connus, je ne sais plus, je ne regarde pas l’image, il y en a d’autres, les rengaines (ça ne se dit plus), Julien Clerc un peu après sans doute, Jean Ferrat (beaucoup) pour Aragon (beaucoup aussi), sa femme je ne sais plus Christine quelque chose je crois, le poulet aux hormones, mais les groupes les Frères Jacques, les Compagnons de la Chanson, les Chaussettes Noires et Yves Montand ou Jean Gabin, on ne sait jamais – les acteurs qui chantent, celui qui chante : Michel Jonasz, mais surtout certainement Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon (rue de la Pompe ou Trocadéro, cinq heures du matin, mise en place des enquêteurs et là, sa fille au sourire qui lui ressemble tant) les disques de la maison Enrico Macias ou Charles déjà cité en a, et puis Quilapayun (c’est plus tard) Mercédes Sosa, Violeta Para, Liza Minelli mais surtout sa mère (oh Judy Garland…) plus tard,Liza avec Charlot troisième fois – se fait refaire le nez, replanter des cheveux etc.), El Condor pasa, seulement elle Liza et sa mère, Amalia fatalement et Cesaria obligatoire, Oum Kalsoum et d’autres encore, cette procession, cette distribution des rôles, « ne me quitte pas », reste avec moi, amour toujours, Antonio Zambujo (pour l’Employée) – a-t-il seulement quarante ans, ce garçon ? – je ne sais pas (mais oui, il est de 75), je ne veux pas oublier, développer, encore, la rue Camille Desmoulins, assis sur le trottoir, faire des patiences avec quelques cartes, la fin de l’été, quelque chose qui revient, Michel Fugain et son Big Bazar, le hit-parade l’après midi vers cinq heures, quelque chose comme ça, la radio, les quarante cinq tours, Trini Lopez la Bamba, une autre je ne me souviens plus mais « Volare » les italiens pas si présents encore, Gloria Lasso et ses huit ou dix maris, les étés de vacances à la Croix-Valmer, ceux de Genève, ceux de Murol, il n’y a que dix ans dans ces années soixante où les choses s’éveillent – sept dix-sept – la cruauté imbécile des idiots, les hivers rigoureux, peu de choses mais ces chansons-là oui, « j’voudrais pas crever », mon oncle un fameux bricoleur, ces évocations et ces échos – on allait écouter les disques dans des cabines de chez Poiret-Choqué, la librairie en face du cinéma – images et chansons – « quand un bateau part, quand un train siffle quand un avion s’envole dans le ciel », toutes ces choses qui vont viennent passent et restent « le dimanche ma mère fait du rangement tandis que mon père à la télé regarde les sports religieusement » – on n’en finirait pas (je mets une photo, allez)
Tout le passage sur la chanson me parle au plus haut point ! Merci !
Tant mieux, merci à toi Fil
Moi aussi, j’ai aimé ce déferlement de chanteurs, de chanteuses et de chansons, ces noms qui à eux seuls reconstruisent un monde oublié et donnent envie de pousser la chansonnette.
@Vincent Francey : oui c’était l’idée un peu – je devrais faire la même chose avec les acteurs des années soixante dix et le reste et tout le rest qui reste encore à faire retrouver chercher etc. Tant mieux si ça peut parler (merci de votre lecture) (hier, j’allai voir « Jeanne » (Bruno Dumont 2019) (une catastrophe) mais il y avait là Christophe (il nous chante même une chanson…!) (alias Daniel Bevilacqua – il est de 45 – j’ai oublié (Nino Ferrer ainsi aussi – mais lui il s’est tiré – Agostino Ferrari, il était de 34, né à Gênes)- mais l’oubli fait aussi partie de ces évocations… Merci encore
C’est ma vie, la vie, la même, la mienne, je me tourne, elle est derrière et c’est bien là sa place, mais vlan sur l’écran, elle fait face, le toujours du parpaing de phrases, c’est lancinant, ça parle, ça parle, nos mémoires, la mienne enroulée quelque part, oubliée, refoulée loin mais là, en face, je tremolote, tremblote, voilà que tous ces noms, images, histoires, morceaux, remontent à la surface, je suis prise au filet. Retour de pêche. La terrasse n’est pas loin.
@Chantal Tran : ça fait toujours plaisir de rencontrer quelqu’un venant du même pays que soi – on appelle ces gens-là des « pays » – les mots sont traîtres, certes, mais ont un sens aussi – je vous confirme qu’il s’agit bien de la (votre comme de la) mienne (de vie) (enfin romancée – les chansons, on appelle ça aussi, quand elles parlent d’amour, des romances hein) (on n’a pas le même sexe, mais on est quand même du même genre, je suppose, ainsi que du même âge sans doute) (en tout cas, content de vous en parler) (du pays)
pas si éphémère le personnel politique… certains ont eu de sacrés retours… fini dans la bourgeoisie moyenne le personnel de maison et pendant un temps on a très mal mangé avant que nos mères apprennent …
et dans les chanteurs des dédains (idiots ou non je ne sais) et des compagnons ranimés, merci
(enfin au total un régal intelligent)