Il avait l’habitude de dire qu’il n’existait qu’à travers sa voix, ce qui était absolument vrai. Elle était grave, radiophonique, sagement posée sur le perchoir des cordes vocales d’où elle s’élançait dans un vol gracieux à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Sans failles ou dissonances, sans effort. Il répétait, dans son timbre musical et souriant, qu’il fallait absolument qu’il tire parti de ce don inouï, dont il avait pleine conscience. Il a essayé tour à tour d’être chanteur, animateur, conteur, récitateur de poésie, maître de cérémonies. Il ne comprenait pas où était la faille, car sa voix ne le trahissait jamais ; l’air qu’il insufflait se métamorphosait en vocables qui remplissaient de sonorités harmoniques les plus grands espaces. En le connaissant mieux, on comprenait pourtant qu’une certaine partie de son corps refusait de jouer le jeu de cette voix sensuelle et magnétique et que, sans elle, le tour de magie serait constamment défait. Privé de ce qui aurait pu l’animer, il se retrouvait tel un oiseau en cage, qu’on écoute distraitement dans la pièce à côté, pendant qu’on arrose les fleurs. Un instant de paix et de bien-être, avant que d’autres voix, certainement moins mélodieuses, viennent faire oublier la sienne. Les propos élogieux qu’il recevait pour cette conjugaison de vibrations ne le faisait plus qu’esquisser qu’un vague sourire. Réduit à un dispositif sonore dans une caisse de résonnance parfaite, son corps et son esprit commencèrent à dépérir et mirent fin à une bataille aussi inégale qu’injuste. On enregistra sa voix pour montrer aux étudiants en médicine les merveilles et aussi les mystères du tractus vocal.