Et quand elle entrait la télévision hurlait projetant des images violentes dans leurs yeux fascinés leurs regards ne se tournaient plus vers l’extérieur croyant voir le monde sur le petit écran des couleurs et des sons qu’ils ne comprenaient plus Sur la table basse, un enchevêtrement de pots bégonias orchidées posés sur des coupelles un entassement de papiers feuilles de sécurité sociale, coupures de journaux, cartes postales envoyées par des enfants qui vivaient au loin et sur le rebord du buffet à deux corps dans des petits cadres dorés des images de ce qu’ils avaient été un jeune couple en chapeau et gants de peau quatre enfants serrés contre une jeune femme souriante sur fond de montagnes enneigées un homme grave et droit ceint d’une écharpe de maire et une multitude de bibelots muets un tronçon de câble électrique offert pour le départ en retraite une boule translucide où l’on voyait tomber la neige sur les collines de Montmartre des petites boites vernissées rapportées du Vietnam si bien que lorsqu’ils lui demandaient d’ouvrir la porte vitrée de la partie haute du buffet pour prendre une assiette où elle poserait les gâteaux de cette porcelaine à fleurs roses qu’elle avait détestée toute son enfance elle devait déplacer les objets ne sachant où les poser dans le salon encombré les entendant s’agiter sur leur fauteuil elle en mettait du temps elle ne trouvait jamais rien et elle se prenait à regretter d’avoir apporté ces macarons roses, bleus, jaunes gâteaux vernissés et brillants qui exigeaient une assiette à fleurs roses…
j’aime beaucoup, c’est vivant et un peu poignant.
qqch de Daudet « les vieux »:
Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même ; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut… Vous voyez le tableau d’ici : le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire ouverte et de grandes piles de linge roux… C’était charmant.
J’aime ce texte, la description de la fascination pour les images de la TV, celle du décor et merci pour le buffet à 2 corps… Oui, tout ce que vous en dites, oui, tellement oui. Belle chute aussi. Merci