C’est cela qui me revient, en premier, c’est une dernière fois. Les cheveux humides mais le vent du printemps sèche rapidement, il fait jour, il y a des promesses dans l’air. Pas de gêne, c’est la fin, on se réconcilie du coin de l’œil avec les garçons qui nous succèdent. Eux, ils s’entraînent à la compétition. Filles et garçons séparés. Sortie de la piscine, tout un autre monde à découvrir, la peau chlorée et les rires dans le vent, respirer la chaleur qui se fait balayer par le vent, encore le vent du printemps. Bizarre de ne pas se souvenir du reste, se souvenir de la nuit surtout, c’était toujours un peu la nuit quand le cours était fini. Se souvenir de l’ombre du père. Il est si grand, si petit pourtant, dans le bruit il est silence. Les cheveux séchés par les mères furieuses. Elles claquètent mieux que leurs filles ivres de chlore. Dans leurs pyjamas, sous les manteaux en hiver, sous les gilets au printemps. C’est la blague de dire qu’on traverse le quartier en pyjama, elles sont des petites princesses chlorées et elles lèvent leurs nez si haut dans le ciel qu’elles en oublient d’avoir honte. Je suis une petite tache. J’ai dû remettre mes vêtements, mon pyjama attend roulé en boule sous mon oreiller. Une flaque d’eau sous mes pieds. Mes cheveux comme des algues refusent de s’adoucir, ma peau humide le restera jusqu’à la nuit. Dans ma bouche asséchée, les mots ne sortent pas. Parfois le père fait la conversation. Peut-être. Nous gardons secrètes nos propres histoires, pour les années à venir où nous nous surprendrons à nous les raconter. Nous rentrons en nous laissant assommer par la ville pas encore endormie. Le ventre creusé par la natation, le cours est déjà loin, dans une semaine viendra le prochain, mais cela parait être une éternité.
Le cœur serré, lourd, un oiseau mort dans le ventre, les sens se décuplent. L’odeur chlorée contracte le corps sec, la peau rougie. Chaque pas est un minuscule traumatisme. L’escalier, on voudrait s’y fouler la cheville plutôt que d’y aller. Déteste le sec, déteste fréquenter les gens de l’eau quand nous sommes encore au sec. Ne veut pas du bassin bleu, ne veut pas de sa tiédeur. Veut bassin calme pour moi seule. Le brouhaha arrive et le corps de la mère s’éloigne enocre s’est trop dur, est-ce qu’on le verrait si je me cachais là, dans le vestiaire, derrière le manteau de la peste ?
Dans l’atmosphère humide, l’appel de l’eau est le plus fort. On frissonne, nos corps trop vite habitués à la chaleur redoutent l’eau et la désirent en même temps. Notre chair se rappelle du réconfort qu’on y trouve, mais l’estomac tire sur le côté, mémoire du corps qui nous prépare à l’effort à venir. Entre les deux, on se balance. Exercice. Mouvements aériens. C’est absurde. Poissons hors de l’eau. On y plonge enfin. Gicle l’eau, déchire la surface plane.
Mon corps se souvient. Tu sais, ça tire. De partout. Est-ce que le corps miniature souffre moins ? Est-il plus sensible ? Envier le corps de la professeure. Bloc régulier imprégné d’eau reste au chaud dans son survêtement. Clac, clac, clac, le bâton contre le carrelage. La respiration s’essouffle. Devoir se souvenir du rythme. On tire. Les bras veulent se déchirer. On lutte contre l’eau. Si je ne poursuis pas à la bonne cadence, l’eau va me repousser sur le côté. Lignes impossibles. L’eau rentre de partout en moi. Refus du corps. Lutte persistante. Et puis à un moment, branchies et nageoires imaginaires. Le corps se love entre deux eaux, enfin l’effort est accepté, le corps se tend, se plie, se déplie, comme une feuille. Une feuille qui a enfin prit le poids de l’eau, absorbant l’eau je deviens eau et je me laisse aller à l’effort commun. Et si je me noie, tant pis, tant mieux. Est-ce que tout le monde fait comme moi ? S’aveugle en regardant, les yeux rivés au plafond, les éclairages ? Un, deux, trois, quatre… L’effort du calcul pour ne pas se cogner la tête, se retourner au bon moment. Et puis on tourne. Je suis une feuille portée par la main d’une autre. L’eau se joue de moi.
Les lignes impossibles terminées, chaque corps reprend son indépendance. A croire que chaque enfant vient pour jouer et pas pour nager. Leçon terminée, quart d’heure de liberté. Le plastique en fragments colorés ralenti dans l’eau. Les jeux des autres n’ont pas d’intérêt, bouillonnement à la surface, préfère m’enfoncer, d’abord rôder, les yeux prennent le frais, le reste est au chaud sous l’eau. Finalement prendre une grande inspiration et franchir le portail. Sous l’eau, les règles sont autres et je peux être. Je me souviens du bouillonnement intérieur. Quand tu te retournes dans l’eau, ton nez brûle. Lorsque ta tête éclate le miroir de la surface, tu reviens à la vie.
troublants souvenirs, moi juste le trajet retour, me souviens bien des pestes, on croit sentir l’effet de l’eau, du chlore, le froid, cet isolement, c’est beau.
souvenirs, très très lointains pour moi
et souvenir du remède paternel, un voilier, une main qui me prend et me « fout à la patouille » (en fait je devais avoir pied plus ou moins) et le petit animal qui se débat et réalise qu’il flotte… malgré quoi vos mots ont réveillé la frousse
Merci pour ces souvenirs partagés, ramenés à la surface !