Dans la famille on disait que si le grand -père avait acheté cette maison pour sa retraite, c’est que le paysage des Albères lui rappelait celui du Tonkin, les collines vert bleuté au loin et l’eau partout présente. Le souvenir qu’il en a lui est celui d’un naufrage. La plupart des maisons vides, parfois louées, souvent abandonnées. Quelques unes habitées à l’année par des propriétaires qui y avaient mis toutes leurs économies et tous leurs espoirs. Le village vacances adossé au lotissement était en ruine, un vrai terrain de jeu. Faillite du gestionnaire, désaffection des estivants, personne ne savait bien. Loin de tout, accessible par une route étroite et tortueuse qui se terminait en mauvais chemin de terre. Et puis face à soi quand on tournait le dos aux collines, l’immensité de la mer. Il n’y était allé que quelquefois, très jeune encore, le grand-père avait déménagé ensuite une nouvelle fois pour des lieux plus urbains. Malgré tout sa passion des grands espaces venait peut-être de là, de ces courts séjours au bout de nulle part, même si à vol d’oiseau on n’était pas à plus de vingt kilomètres de la côte et des villes touristiques. Le grand-père racontait peu de sa vie de colon. Il y avait quelques photos, mais on n’y voyait que des gens, pas de paysages. Elles étaient en noir et blanc. Il gardait les couleurs et les odeurs dans sa tête et écrivait, écrivait interminablement sur cette ferme à laquelle il avait consacré sa vie à la suite de son père et de son grand-père. Il ne sait même plus le nom de ce lieu, il faudrait le retrouver sur une carte ou demander. Il ne l’a jamais fait, peut-être pour garder cette part de rêve qui s’attache aux échecs.