Les pieds trop grands chaussés de noir d’une pointure en dessous et marcher est une peine. La ride du front qui se perd sous les cheveux jusqu’à l’orifice crânien.
En son for intérieur un cercueil où sont couchés ses enfants jamais nés. De beaux habits brodés . Un chat lèche leurs yeux racornis.
C’est l’hospice. C’est l’hôpital. Où la clinique. C’est là bas. C’est avant. On lui a laissé sa robe de laine qui peluche et qui n’est plus si noire. Le col de dentelle s’attache à l’arrière avec un ruban. Il suffit de changer le col pour faire une autre robe. Sans col c’est comme avant la décapitation, à ras Soleil cou coupé Elle plonge les mains dans la poche de sa sur-robe sarrau. Elle entortille quelque chose qu’on ne peut pas voir. Parfois elle ouvre grand sa bouche sans mots. Le trou de la bouche et la mort en dedans.
Ici c’est tout blanc si blanc que le noir n’a jamais été aussi noir. Elles déversent le lait et leurs doigts tachés d’encre se diluent. C’est ce qu’elle écrit à M sur la feuille quadrillée de cahier d’école au crayon de bois.
La fille de la mère
Comme une boule lisse. Un fruit. La robe trop courte, les jambes brunies. Une cicatrice à l’arcade gauche d’une chute d’enfant la trace des agrafes. Sa fossette à la joue droite.
En son for intérieur un lac sur une carte routière marqué d’une croix rouge. Un lieu dit.
La voiture garée sous les arbres. La ville en contre bas. Un avion.
quand je viendrai te voir je serai grande tu ne pourras pas me reconnaitre j
La mère
…En son for intérieur : Lune grande ronde de fièvre, la langue succombe. Les dents se brisent sur le cadeau des rois : la fève est un cercueil d’enfant. Une chambre dans la maison de cire. 13 petits nus sous la couronne, attendent la fin. Dehors, ce qui sue : toit et gouttière. haies, arbrisseaux ; une pluie d’alcool frelaté bave aux vitres. Le paysage se noie ; ciel trop grand pour le ventre qui n’a pas d’yeux. Dedans les murs caillent. Le buffet s’enkyste. L’escalier à pas de géants et de vers moulu. — Où? Demande l’un. — Sais pas, dit le laid – si laid qu’on l’aurait jeté au puits et puis non. — Sais pas, qu’il dit le laid qui ment. Se serrent tous. Se serrent sous le dru. La laine pue. 13 peaux, tapies peau à peau, même lui, le laid. Le vent dehors cause aux feuilles batailleuses noires bleues d’argent mais toutes vertes. La lune effarante, luit. Les petits voient la ronde par la lucarne ovale, la ronde comme une couronne ou une galette de Roi. — Regarde elle a bougé, dit le laid. Bougé, la lune, en vrai. Mais le laid ment. La faim creuse, il ment. Creuse les ventres et creuse les yeux : une seule écuelle et le laid ment. Un chant monte d’eux, un chant sous la drue. Les bêtes dehors font ronde – sabots, griffes, serres, tentacules – chacun suit, entraine qui peut ou veut qui boite ou vole, qui rampe, chacun suit comme il peut. Chacun danse sur la terre qui bout. Tohu-Bohu. Personne (c’est promis) ne mange personne. Paix sur la terre lourde de pluie. Ivresse. Joie. Ronde gaie. C’est le chant des petits qui passant la lucarne fait danser sous la lune, c’est le vent, c’est le chant qui fait danser les bêtes. Cesse soudain : le chant. — Sans manger l’on meure — j’crois bien, dit qui ne parle que quand il croit. Le laid se tait, qui ment, qui sait. Prend le couteau, où lui seul sait. Prend à la corne le couteau. Egorgeant sœurs, égorgeant frères. De laid deviendra beau, si beau. De laid deviendrait beau, le sait. Seul si beau : sol, la, mi do… De laid deviendra beau. Comme roi, au miroir. Beau Comme. Beau, même sans couronne. La lame tournoie. Il va vite fait, le laid. D’une gorge à l’autre – 12 d’un coup, en rond autours des cous. Ce qui est fait est fait, pense le laid. Les bêtes ivres ouvrent de grands yeux – l’odeur de dedans, de la maison de sang- l’odeur de sang intime aux bêtes la faim – un loup dévore une gorge – la corneille ce sont les yeux qu’elle vole Lacérés, déchiquetés , envenimés, avalés, gobés, broyés, dévorés. Carnage de bêtes ivres. Chasse ivre. Une peau épaisse et blanche vient au ciel. Pluie ravalée voile la ronde. Jour au dehors et jour dedans au miroir le laid voit ce visage qui est laid. Strictement laid. Se retournant il regarde l’imputrescible clarté. Elle.
Cette lecture m’a permis une belle expérience. Il y avait quelque chose de glaçant qui aurait pu me faire interrompre ma lecture et pourtant le choix de certains détails m’a invité à poursuivre, jusqu’au bout, et je ne le regrette pas. Philippe Sahuc Saüc
Je vous remercie Philippe, c’est un visage de « Celle qui » qui revient.
Quelle cruauté convoquée en ce for intérieur, très fort ce tableau.
Merci du regard Caroline.
Oui, glaçant ! Tellement hallucinant. Partant d’elle, la mère et tout ce qui s’en suit… Admirative d’avoir été emmenée à sa seule suite, la mère, ses grands pieds chaussés d’une pointure en dessous. Subjuguée. Merci
Chère Anne Merci … ne sais pas bien où ces pas blessés mènent. Je suis très en retard de lectures un peu trop d’écran en ce moment . Pensées vers vous