Elle scrutait l’horizon Place de la Mairie mains dans les poches clope à la lèvre Trois murs en palissade du trottoir d’en face une fontaine au milieu de la place deux voitures un vélo le sien Elle s’était postée à côté de l’entrée du bar en sentinelle de bon augure entre le Tabac et la pharmacie sous leur bâche commune Brusquement oui c’est ça brusquement il a donné de la voix m’a gueulé dessus oubliant que j’étais sa mère Rondelette à cheveux longs elle oscillait entre brune et rousse comme sa cigarette Trente ans à peine fier et arrogant avec ça il voulait imposer sa loi celle de la force Elle arborait un visage lunaire aux cratères glacés deux orbites cernaient des yeux délavés Il a joint le geste à la parole les coups sont tombés et de un et encore un et encore et encore Son teint confirmait sa présence depuis le matin Il faisait froid cinq degrés pas plus en ce premier du mois de mai Comme ça brusquement Un cache-misère aux poches défoncées recouvrait sa carrure d’athlète Trois boutons pour fermer seuls deux le pouvaient Les enfants s’étaient carapatés fissa pensez pas voulu être témoins par peur pour les plus grands Un euro le brin Cher ou pas cher C’était selon Pas cher pour l’ambiance bien austère cher pour la tige à moitié gelée et courbée Par terreur pour les petiots Midi sonna Mais ils avaient tout entendu y avait de la colère et de la haine aussi La corbeille en plastique décoloré dégorgeait de hampes affalées Non ils n’ont pas bougé ils n’ont pensé qu’à se regrouper têtes baissées pour pas voir quant à entendre ça comme je me suis dit c’est une autre histoire Un gros escargot s’était oublié avait ralenti le temps comme le soleil Voilà pourquoi personne n’a pu raconter ce qui s’était passé dans les faits comme on dit à part moi bien sûr Les nuages pleurèrent un peu sur la bâche du dessus Trop rouge et clinquante celle-ci ternissait le vêtement de la marchande amplifiait la teinte grise du ciel et de son anatomie La réalité parfois c’est pas beau à voir Les brins de muguet mis à la vente étaient ficelés à la sauvette tandis qu’ainsi fagotée et chaussée de bottes crottées elle aspirait avec ardeur le mégot mouillé Alors dans ces cas-là après vaut mieux le silence Sa voix goudronnée résonna à répondre au client égaré sur la terrasse du café Silence ou secret j’ai jamais su faire la différence Le néon de la devanture s’alluma et jaunit la transaction des « Larmes de la Madone » aux clochettes appauvries le client devint son obligé à clopes partagées et lui acheta dix brins d’un coup Ensuite ensuite la porte a claqué une autre s’est ouverte Fin de l’affrontement Enfin de la lutte Ça a été la dernière Par son attente silencieuse Le Fils était parti et son apparence de pauvresse J’ai pensé à lui en paysanne confirmée il savait plus sur quoi ni sur qui taper elle savait toucher la corde sensible des fourvoyés Leur bouquet à la main ils la remerciaient J’ai pris la clé et j’ai tout fermé à double-tour j’ai dit aux grands comme aux petits c’est fini il ne reviendra plus j’ai plus peur de lui Elle était là depuis ce matin Elle attendait le chaland pour le prendre au filet de la plante magique entre patience tristesse du jour et connivence Solide elle ne craignait ni le vent ni le froid ni la pluie ni même la pitié Elle ne craignait plus rien Oui j’ai déposé la plainte le soir-même fallait bien trancher un jour ou l’autre et puis de toute façon je l’avais déjà perdu Et ensuite ensuite la vie comme tout ça reprend son cours C’était le premier jour du mois de mai elle fêtait elle aussi à sa manière le printemps Les fidèles satisfaits emportaient leur porte-bonheur frileusement chez eux Quant à elle plantée à son gré elle semait à la volée de larges bouffées de fumée
J’adore. Puissance des espaces blancs ! Ça marche vraiment impeccablement. Le texte serait presque lui-même la fumée.
Merci beaucoup Fil Berger pour votre lecture. Oui, cette puissance des blancs est pour moi une découverte. Si le texte était la fumée, cela invite à travailler davantage les aspects « respiratoires » ; j’aime l’idée !
Oui, il y a vraiment quelque chose de l’ordre de la puissance dans les blancs. J’aime beaucoup ce texte en tout cas.
Merci beaucoup Jérémie pour votre lecture et votre commentaire. Mille excuses pour le retard de ma réponse !
Déstabilisée au debut mais très envie de continuer. C’est très visuel et très beau. Ces 2 voix mêlées narrateur extérieur et la voix intérieure de la marchande. Relu pour le plaisir ce texte très réussi. Merci
Merci beaucoup Anne, votre commentaire me conforte sur le visuel à ressentir. La déstabilisation n’est pas souhaitée ; les blancs y participent, un découverte pour moi.
Wouah ! ça marche fort… dans les blancs…
Un grand merci Marlen pour votre lecture et cette exclamation !
Je suis remuée par ce très beau texte, sa fumée blanche et ses entrelacs ! Merci !
Merci à vous pour votre lecture et ce retour en résonance. Oui, il y a des entrelacs et je vais encore retravailler ce petit texte, tenter, sur les conseils de François Bon, de pousser la forme plus avant… A suivre. :-))
ah ben c’est la narratrice qui était frappée dans ma lecture… et sur les 2 versions… et c’est son regard qui capte tout l’extérieur et la marchande…
Catherine, votre retour m’avait interrogée car la narratrice n’était qu’en observatrice dans mon intention. Après tout, peu importe, sur un texte si court, que l’appréciation du lecteur·trice soit différente de l’intention première de l’auteur. Mais votre commentaire m’invite à être plus vigilante à cet égard si j’en faisais un texte plus long. Alors, un grand merci encore !