Il ne reste que cette photo sur laquelle tout le monde est réuni. Je ne me souviens plus à quelle occasion elle a été prise. Tous serrés les uns contre les autres sur la terrasse avec, à leurs pieds, l’ombre déformée par les marches du ou de la photographe.
Le plus à gauche, c’est Bertrand, qui pose un peu raide et de trois-quart, comme prêt à lever le bras pour dire « Salut la compagnie ! » et s’en aller. Comme à son habitude, au moment où tout le monde commençait à danser.
Dominique est près de lui. Bien de face, les bras croisés et le visage impassible. Ça a toujours été difficile d’engager la conversation avec lui et, depuis son installation près de l’océan, ce montagnard un peu taiseux a viré matelot avec ses cinq filles.
Bernard et Géraldine se tiennent par les épaules, lui, avec son air d’éternel adolescent et elle qui éclate de rire. Ces deux-là ont finalement décidés de vieillir ensemble après une vie commune chaotique.
Julien dépasse d’une bonne tête toute l’assistance. Il fait une grimace à l’adresse du photographe faisant ressortir sa machoire carrée et son menton est posé sur l’épaule d’une fille devant lui — dont je ne parviens pas à me souvenir le prénom. L’ai-je jamais su ?… Les conquêtes se succédaient à cette époque —.
Ensuite, il y a Jean, hilare. Sur les trois ou quatre photos où il apparait à l’époque, il affiche toujours ce même sourire franc de jeune homme heureux de vivre.
Michel était de passage ce jour-là, il ne fait pas partie des résidents de la maison. Je le connais très peu. On en parle aujourd’hui, après la nouvelle de son suicide qui nous a tous surpris. Personne n’a rien vu venir, personne n’a pu expliquer ce geste violent et définitif.
Gilbert et Francine sourient mais semblent un peu fatigués. Ils viennent d’avoir leur premier bébé. Trois autres enfants suivront.
Laurent a son air d’éternel étonné. Je me souviens des blagues que le reste de la bande faisait à son propos… Ce garcon est un peu çon… il faut bien avouer qu’il prêtait le flanc à ces plaisanteries, après avoir raconté, qu’un soir de fête, ayant manqué une sortie sur le périphérique parisien, il avait préféré faire le tour de la capitale pour la retrouver plutôt que se risquer à faire demi-tour !
Olivier est là, bien que ne vivant pas à la maison. Toujours hirsute, les cheveux en bataille, il semble se réveiller d’une sieste et affiche, malgré tout, l’éternelle assurance qu’on lui connait. Il porte son uniforme — blouson sombre, chemise blanche, cravate noire — personne n’est habillé ainsi à la maison, mais lui, l’électron libre, vient montrer le pantalon qu’il s’est amusé à lacérer. De longues lamelles molles s’envolent autour de ses jambes maigres.
Pascal et Virginie, épaule contre épaule. Elle porte à ses lèvres une cigarette et lui s’est fait une moustache en croisant sous son nez formidable, les longues nattes qu’elle portait encore.
Mesly — dont j’ai oublié le prénom, car jamais aucun membre de la bande ne l’a désigné autrement — lève son bras gauche et brandit sa trompette. À l’époque il menait une étude sur les bienfaits de la musique et les poules de la ferme lui servait de cobayes. Au moment de la photo, il n’a pas encore rencontré celle qui deviendra sa femme et qui décèdera peu de temps après…
François est là aussi avec Joëlle, presqu’encore une enfant. Ils se serrent l’un contre l’autre. François ne sait pas encore qu’il va perdre sa licence et devenir agriculteur.
Jérémy le parisien — la chemise blanche impeccable moulant son torse maigre — rencontrera bientôt Nicole, avec qui il aura deux enfants, avant de divorcer et de partir s’établir seul… et à la campagne.
Aujourd’hui, il ne se trouve plus personne, parmi les amis, les connaissances de cette époque, pour évoquer encore la maison. Toute cette joyeuse bande — accueillie journellement durant cet été et le transformant en une fête amicale quotidienne —, semble s’être dissoute, diluée à travers les bifurcations des choix et les aléas de la vie.
(une chorale, hein) (tu sais quoi ? je te suggère ce paragraphe (n’importe où) (quelque part au hasard ?)
« tu es là, juste à côté de moi, nous sourions encore, je t’aime toujours » ou quelque chose, non ?) (je te le cède… :°))
(bravo, trop bien)
merci Piero Cohen-Hadria… y songerai.
ah mais il faut que j’arrête de lire les textes et aille vite écouter cette consigne, en attendant cette photo de famille me parle beaucoup !
Merci Caroline pour ta lecture. À te lire !
il reste la formidable mémoire de celle qui regarde et retrouve qui ils étaient et même leurs noms, maintenant ainsi leur existence
Merci Brigitte, pour votre lecture. Vous avez raison. Elle peut même les réinventer…