Tous les lieux de vie évoqués jusqu’ici, se sont imposés à moi, ont surgi, auréolés d’une nostalgie apaisante. Je vois aujourd’hui qu’une maison en est absente, elle avait pourtant été essentielle. Une séparation sentimentale en a effacé les contours. Tenter de la reconstruire avec son lot de mélancolie, ses parcelles de bonheur et de douleur. Oubli, désenfouissement, presque toutes les images sont floues, irréelles, tronquées. La vision est comme anesthésiée ; je ne vois plus rien, ne sens plus aucune odeur, je n’entends plus rien. Secouer tout mon être, en faire tomber quelques images et construire ici par l’écriture.
Une vieille maison en pierres, délabrée, au sein d’un village près d’Avignon. Il avait fallu la faire vivre en gardant son intégrité ; ce que je parviens à voir aujourd’hui avec le plus de netteté c’est ce minuscule visage sculpté dans la pierre sur un bâtiment, trace de l’ouvrier, du compagnon bâtisseur quelques siècles plus tôt. L’œil froid regardait tout alentour, je me souviens en avoir été fascinée et je me remémore le sentiment ambivalent qui en avait surgi. Revient aussi à ma mémoire l’information recueillie par hasard de la pendaison d’une femme, là, cinquante ans plus tôt. Une belle maison certes mais avec une trace tragique dans ses murs. J’avais passé beaucoup de temps à suivre et contrôler les travaux mais aujourd’hui je suis dans l’impossibilité de donner le nombre de pièces, leur superficie, la quantité de fenêtres, la nature des sols, le jardin… Je n’entends rien, je ne sens rien, je ne vois presque rien. Comment est-ce possible ? Ce voyage d’écriture va m’entraîner bien loin s’il s’ouvre sur une remémoration. L’entrée se faisait par un portail, oui, en bois, en fer je ne sais plus ? Un espace grand entouré de murs de pierres. Oui, vide à l’origine. Voilà je le franchis et me souviens du magnolia que j’avais choisi de planter là près du grand mur, un camion avait réparti beaucoup de terre. Puis choix d’arbustes et de fleurs dont j’ignore le nom aujourd’hui. Une balançoire s’élance devant moi avec une petite fille dessus ! Au bas de la maison, une grande ouverture en anse de panier, mais je ne sais plus ce qui se trouvait derrière. Sur la gauche, un escalier extérieur menant à une terrasse que j’aimais beaucoup, le bébé y passait de longues heures près de rhododendrons roses. Je voudrais pénétrer à l’intérieur de la maison, je n’y parviens pas, je suis paralysée, je crains la bouffée violente du temps passé ; je ne me souviens que des rideaux au motif ethnique que j’avais cru bien choisir, mais finalement ils étaient trop foncés pour cette pièce à haut plafond en bois à la française ; je sens le tissu dans ma main, souple et lourd à la fois. J’ouvre la porte en bois. Vais-je arriver à ouvrir la fenêtre ? Une ou deux dans la pièce ? Le sol, ah oui je le retrouve, des parefeuilles bien traités, lisses et chauds. Mes pas se réchauffent un peu, j’ai cru entendre une voix. Je poursuis mon chemin. Mais tout bouge dans mon souvenir. Je ne sais plus vraiment où me diriger. Sur la grande table un panier de cerises rouge sang, très abondantes dans la région, Bob Marley chante, la cafetière siffle, les enfants, l’un babille, l’autre découpe des images, les larmes à petits pas s’activent ; l’envie de se laisser aller puis de se ressaisir. J’ouvre la fenêtre comme autrefois et je regarde le magnolia. Ses larges fleurs blanches au parfum citronné embaument, je ferme les yeux. Je ne peux aller plus loin.
fascinante, peut-être trop forte pour que les souvenirs ne risquent pas de l’être trop… enfin on peut le craindre et vous, vous le savez
Dans ce rapprochement grâce à l’écriture, sentiment de recoller des morceaux et de leur donner la place qu’il faut dans l’émotion présente. mais aussi un nettoyage de souvenir, je ne garde que le meilleur ! Merci de vos lectures.