(Ou plutôt un bourdonnement en écho. Nos voix se superposaient. Les ombres de nos silhouettes jouaient avec l’aplat de soleil sur la colline. Nos cris perdus à la rivière qui sillonnait le territoire de nos jeux. Comme piqués de la fièvre dominicale, rejetés au plus loin des conversations adultes, nous nous avancions là où le bourdonnement était le plus fort. Alors la cascade s’imposait à nous. A la fois proche et lointaine. Nous redoutions sa force. Là, mon regard s’oublia, et une main d’enfant jaillit sous le jet. Cette main aux doigts encore mous, tendue à la verticale. Elle tremblait, distordue par l’eau. Cette main blanche et ronde, imprimant en moi sa forme éclatante. Puis, comme une fleur qui s’alourdit de la rosée, la main chuta. Bruit humide de la main contre la peau nue. Je fixais la cascade, sa roche, devenue l’écrin de cette main. J’étudiais le poids de l’eau en mouvement dans un flot ininterrompu. J’attendais. La main réapparut. Elle demeurait, plus longtemps encore. Elle semblait flotter dans la chute. Sa paume contre la roche. Et la cascade qui n’en finissait pas de tomber sur la main, elle poursuivait son roulement, elle ne cesserait jamais d’être là elle, et la main le savait, elle luttait contre l’impossible. La main en négatif brouillée par les eaux. Un salut ou un adieu. Comme une empreinte. Le début d’une fresque vivante. Voilà, la cascade coule encore ! Je cille pour chasser l’eau de mes yeux. L’effet de grandeur a été brisé. Tout autour de moi est diminué. La colline n’est rien qu’une pente sans soleil. Les jeux continuent, mais je n’y participe plus. Et la cascade artificielle n’a plus rien d’impressionnant. Pourtant, demeure la force de cette eau qui poursuit sa chute sans fin. Même le reflet du ciel ne peut se contenir dans les marelles dessinées par ses flaques. Je plonge mon regard dans la cascade. Distingue la roche nue. La main enfantine s’agite toujours dans le flou de mes yeux. Rien n’a changé, ça ne grouille pas, ça bourdonne toujours. Je ne reconnais pas l’écho des voix qui m’entourent, mais la main lutte encore. Une main en négatif cherche à égaler l’infini, sinon à prolonger l’oubli d’un regard.)
c’est beau Alice, et merci de nous reconduire aux dimanches de ton enfance.