La braderie! C’est la grande braderie! Les trottoirs se couvrent d’étals, les étals accueillent des monceaux d’objets, les passants se pressent dans les allées, les vendeurs bradent, les acheteurs marchandent, les camelots haussent la voix, les bateleurs font le spectacle, la foule bigarrée devient spectacle, la mise en scène se répète, les uns bradent, les objets de la vie courante comme les souvenirs, les vieux albums comme les vieilles cafetières, les mécanismes bien huilés d’une jolie boîte à musique ou d’une horloge comme les tas de ferraille qui les cachent, les pièces d’or oubliées dans une enveloppe comme les coussins éventrés dans lesquels la main de quelqu’un ou de quelqu’une les avait un jour glissées, tout est à brader, le superflu, l’inutile ou le trop vieux, le laid, le joli, l’insolite ou l’informe, et les autres regardent, palpent, soupèsent, auscultent, respirent, opinent, discutent le prix, s’en vont, reviennent, tergiversent, concluent, emportent l’objet devenu finalement indispensable, utile ou seulement capable, humblement, de recevoir une seconde vie… Une lunette céleste pourrait voir l’ensemble de la toile tissée par les fils qui relient chaque objet aux différentes personnes qui en ont disposé depuis sa fabrication, et, si l’entre-deux-guerres, les années folles et la Belle Époque sont en général l’horizon le plus reculé des antiquités bradées, ce sont les foires du Moyen-Age que l’observateur céleste retrouve dans les allées de la braderie!… Entre la masse verticale d’un brocanteur aux moustaches tombantes à la Gauloise et l’éclat oblique d’un reflet du soleil sur la paroi ventrue d’un gros vase se faufile soudain une petite ombre, comme un farfadet… Il fait beau, la foule est de plus en plus nombreuse, les couleurs des vêtements se mêlent en un patchwork joyeux, des musiciens, amateurs ou saltimbanques, rythment les pas et font swinguer les corps, des ballons en baudruche s’échappent des mains qui les retiennent par un fil, leur envol fait fleurir le ciel, un petit nuage blanc solitaire semble ponctuer le texte d’une banderole que traîne un petit avion pétaradant, l’air est limpide et ondoie légèrement comme l’eau pure d’un lac, des odeurs de gaufres et de barbe à papa titillent les narines, les flonflons d’un manège installé sur une placette au cœur de la braderie instillent une ambiance de fête foraine… La foule est dense et danse quand elle le peut en avançant à tout petits pas… L’enfant juchée sur les épaules de son père absorbe tout ce qu’elle peut voir, entendre, sentir… découvre des pans de réalité insoupçonnés, ressent en elle une sorte d’appel mystérieux… ses parents, qui n’achètent presque jamais rien car tout est toujours trop cher, disent qu’ils viennent à la braderie pour flâner et respirer un air de fête… elle aime qu’ils rêvent ou qu’ils s’amusent en contemplant les assemblages d’objets hétéroclites qui bordent les allées… elle n’imagine pas vraiment mais elle pressent, en laissant le flot des sensations neuves l’envahir, que d’autres mondes sont possibles…
J’aime bien cette évocation. Au début c’est tout à fait intemporel, à peine situable, dans un quartier, une petite ville. Et découvrir à la fin que le point de vue est celui d’une enfant installée sur les épaules de son père. Sauf que je me demande si c’est bien la vision et les réflexions d’une petite fille sur la première partie.
Ceci dit, amitiés !!!
Vous avez raison, les réflexions du début ne sont pas celles d’une petite fille. Celle-ci a grandi, elle est même devenue très vieille! Elle se souvient de cette braderie et l’assimile à d’autres, mais se souvient finalement tellement bien de la première braderie qu’elle la revit et retrouve les sensations initiales… Un grand merci pour votre lecture et amitiés à vous aussi !
Marrant, car pas loin de ma plage du 15 août le matin il y a braderie, j’y ai tout retrouvé dans la votre, merci.
Le 15 août est un jour où fleurissent les braderies, merci à vous Caroline!
j’aime l’enfant qui absorbe les images sur les épaules de son père
on se sent un peu comme lui…
bon vais voir le 15 août (juste le temps) 🙂
Merci Brigitte! On se sent toujours enfant… :-))
La lunette céleste conduit l’enfant puis l’adulte vers les autres mondes. Merci Françoise pour ce beau texte.
Merci, Huguette, pour votre lecture!
J’aime imaginer que d’autres mondes sont possibles.