#LVME #01 | La grande aiguille vient de dépasser le douze et…

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. Ils ont retiré du comptoir le colis volumineux et d’apprêtent à l’ouvrir sur une des tables de la salle. Dans la rue, une femme passe rapidement, courbée comme pour échapper à la bise qui souffle un peu plus fort que d’habitude. Ils sourient, ils viennent d’ouvrir le colis dont ils connaissaient tous les deux le contenu. L’ouvrage est superbe. C’est un grand livre de dimension 44X33cm. Sur la première de couverture on voit trois cases verticales qui représentent un paysage urbain de nuit. Au premier plan, un gamin juché sur son lit dont les pieds sont devenus de longues jambes qui escaladent les buildings et galopent dans les airs. Elle n’avais pas menti. “La Bible de tous les dessinateurs!” dit-elle en feuillant les premières planches avant de le laisser se plonger dans le livre et d’aller essuyer des verres. Lui, est fasciné par la reproduction d’une case grand format. On voit un gamin habillé en petit prince et qui tient dans ses mains une longue canne à pommeau doré en s’exclamant en anglais « Oh ! I can wish for anything wtih this and get my wish ! »

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. La vieille dame vient de parvenir au premier demi palier. Elle est déjà essoufflée et peste contre ces co-propriétaires, à commencer par son fils, qui n’ont jamais voulu entendre parler d’un ascenseur. Elle a posé son cabas pour reprendre son souffle. En bas elle entend la porte se refermer en claquant.
Un peu plus haut sa belle fille se penche à la fenêtre qui donne sur la rue du trolley bus. Elle semble guetter quelqu’un ou quelque chose.

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. Assise dos à la grande fenêtre, devant l’ordinateur allumée, elle soupire « Puxa vida ! Vou chegar atrasada ! ». Des livres s’empilent sur sa table de travail. Des livres et des feuilles pleines de notes, un petit cahier grand carreaux ouvert à une page pleine de références bibliographiques.

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. A travers la cloison, ou peut-être à travers le parquet, va savoir, un homme, moustache grisonnante et cheveux poivre et sel entend les quelques notes de piano jouées maladroitement mais sûrement. Il fume une gitane sans filtre, confortablement installé dans le fauteuil de son petit salon, côté cours. Il vient d’envoyer un fac simile de la lettre qu’il a fait mettre sous verre. Le papier a jauni mais on parvient relativement bien à déchiffrer l’écriture maladroite : “A mi queridísima compañera y mis queridísimos hijos :
No puedo por menos que en estos momentos tan críticos y desesperados para mí que dirigirme a vosotros con esta sencilla carta pues es el único recuerdo que os pueda dejar en los últimos momentos de mi vida…
Sa lecture est interrompue par la sonnerie du téléphone.

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. Dans la cuisine qui donne sur la rue du marché, elle pense à ce qu’elle va se préparer ce soir. Elle entend les cris de son fils cadet mais elle ne bouge pas. Dans la chambre le gamin essaie d’échapper à la poigne de son père, mais ses tentatives pour s’en arracher ne font qu’exciter la colère de ce dernier. Les coups de ceinture sifflent et viennent claquer sur son dos et ses fesses. Il crie et pisse sur la moquette. Soudain son père s’arrête, essoufflé et un peu hébété, le regard vide et il sort brusquement de la chambre.

La grande aiguille vient de dépasser le douze et la lumière de novembre vient de diminuer. La chambre est petite. Une studette comme on dit dans la jargon des agences. Son lit est éclairé par la fenêtre. Non loin de là, sur une petite commode transformée en hôtel votif à Vénus s’amoncellent des bijoux, des flacons de parfums ou de crèmes. La lumière bleue de son téléphone vient de s’allumer brièvement sur son lit.









A propos de Nicolas Larue

Fin du vingtième siècle j’ouvre les yeux sur le monde. Quelques bonnes décades après, je n’en finis pas de trouver tout ça passionnant malgré tout ;)

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